Etat de la situation à Alexandrie, Egypte, à une heure H

Article : Etat de la situation à Alexandrie, Egypte, à une heure H
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17 décembre 2012

Etat de la situation à Alexandrie, Egypte, à une heure H

« A quatre jours du référendum sur la Constitution, l’Egypte en état de siège » (RFI)

« L’Egypte déchirée par une dramatique crise d’identité » (RFI)

« Affrontements sanglants au Caire entre opposants et Frères musulmans » (Le Monde)

« Egypte : la tentative de médiation de l’armée a fait pschitt » (Le Monde)

« En Égypte, Morsi joue la Constitution contre le chaos » (Le Figaro)

Telle est la version française des événements de ces derniers jours en Égypte. Voici également quelques extraits de la version Égyptienne, au regard des journaux locaux et des informations diverses qui nous parviennent.

Manifestation à Alexandrie. Crédit photo : Ingrid Quefeulou&Paulina Raduchowska

Mohamed Morsi a retiré le décret lui accordant des pouvoirs étendus, pour le remplacer par un autre texte, aussi controversé. Le président est revenu sur son décret, après avoir appelé, jeudi 6 décembre, les partis de l’opposition au dialogue. Ceux-ci ont pour la plupart refusé, mais la réunion a bien eu lieu. Abdallah Kalil, avocat et expert juridique, explique dans le journal Al Ahram hebdo (n°952, Alaa Al Korachi, « Le dialogue de Morsi, une rencontre d’alliés »), que ce nouveau texte n’est pas rétroactif, c’est-à-dire qu’il n’annule pas les effets du premier texte qui avaient déjà été appliqué : la révocation du procureur général et la nomination directement par le président Morsi d’un nouveau procureur qui détient des pouvoir exclusifs, le passage de la loi de protection des acquis de la révolution. Même ci ce dernier a depuis démissionné, sous la pression des juges.

Le référendum pour ou contre la constitution a été maintenu aux samedis 15 et 22 décembre et les Égyptiens de l’étranger ont commencé à voter avant cette première date. Après avoir appelé au boycott du référendum, le Front du Salut National, coalition des principaux partis de l’opposition, a finalement appelé a voter Non.

Les juges ont finalement décidés de superviser le référendum après le retrait du décret présidentiel controversé, mais beaucoup s’y opposent encore, c’est pour cette raison que le vote a lieu sur deux samedis afin de réunir suffisamment de magistrats pour l’encadrer. Cela pose question car il y aura une semaine de délais entre le vote d’une partie de la population, et de l’autre. Une semaine durant laquelle il peut se passer beaucoup de choses…

Crédit photo : Ingrid Quefeulou&Paulina Raduchowska

L’armée était autorisé à arrêter les civils, jusqu’à la tenue du référendum, afin de préserver la sécurité nationale. C’est ainsi les nouveaux pouvoir qui lui ont été conférés par le président pour pouvoir maintenir son référendum. Elle devient le troisième acteur du conflit, après être sortie de l’ombre en appelant les différentes parties au dialogue. Certains accusent l’armée et les Frères Musulmans d’un complot pour se partager le pouvoir, après la révolution de février 2011. Tous doutes de quel côté elle se rangera dans cette nouvelle bataille. La nouvelle constitution, qui était votée en ce samedi 15 décembre, maintien l’emprise économique de l’armée et accorde un statut juridique aux tribunaux militaires, comme celui de la justice civile. Toujours est-il que les militaires ont retenu la leçon et ne souhaitent pas s’impliquer dans le conflit sur le terrain. Et les Égyptiens ne semblent pas non plus prêt à accepter une nouvelle place politique pour l’armée : certains nous ont dit que les militaires au pouvoir seraient pire que Mohamed Morsi.

La place Tahrir est toujours occupée par les opposants à Mohammed Morsi et le palais présidentiel Al Ittihadia est devenu le nouveau symbole des luttes engagées dans le pays depuis bientôt un mois.

Plusieurs violences ont été constatées ces derniers jours entre les partisans du président et les autres, notamment dans la nuit du 5 au 6 décembre. On a fait état de huit morts et de centaines de blessés. Il est pour autant difficile de mesurer l’ampleur de ces violences. Les vidéo de ces incidents, sur lesquelles l’on voit des hommes se faire frapper violemment, des voitures brûler et des photos de victimes blessées circulent sur Facebook. Incidents isolés ou escalade de la violence que ces images ne font qu’attiser ? Il est sans doute encore trop tôt pour le dire. Toujours est-il que celles-ci ne font que contribuer à construire un climat de peur et de méfiance au sein du peuple, et créer une division entre les partisans du président et les révolutionnaires.

Chaque camp prétend que les martyrs qui sont tombés étaient de son côté, et Dia Rachwane, politologue et spécialiste des mouvements islamistes, va jusqu’à déclarer que Les Frères Musulmans ont transformés le conflit politique en un conflit religieux-civil. ( Al Haram Hebdo n° 952, Heba Nasreddine, « Les discours et l’autre réalité »),

Au delà de cette position officielle, il y a de multiples informations qui nous parviennent au jour le jour, et l’on n’arrive plus très bien a distinguer le vrai du faux. En effet, les rumeurs vont bons trains en ce climat d’incertitude rythmé par les manifestations du mardi et du vendredi de chaque semaine. Voici quelques unes des répliques que l’on peut entendre ici ou là…

Crédit photo : ingrid Quefeulou&Paulina Raduchowska

«  Achète du crédit pour ton téléphone, on ne sait pas ce qui va se passer aujourd’hui. » Est-ce que mon téléphone m’aidera vraiment en cas de crise ?

« Avez-vous fait des courses de nourritures ? Juste au cas où il se passe quelque chose…» Les épiceries vont être pillées ?

« Il y a des gens avec des épées en bas de chez moi qui m’empêchent de passer ! », des épées, tu es sûr ?

« Est-ce que vous avez peur ?!!! ». Pourquoi, on devrait ?

« La révolution à commencé comme ça…». Dois-je en déduire que c’est la révolution ?

« Les Alexandrins ont déclarés leur indépendance face à un État égyptien contrôle par les Frères Musulmans ! ». Pardon ?

En Égypte, il y a les gens qui ont connu la révolution, et les autres. Ceux qui faisaient des rondes dans leurs quartiers pour les protéger des pillages (qui ont d’ailleurs repris du service dans certains quartiers), ceux qui sont restés chez eux à partir de 13h, 16h ou 18h, couvre feu oblige, qui ont vu brûler le bâtiment du gouvernorat, a Alexandrie… et les autres, dont je fais partie. Vous vous douterez bien que les phrases alarmistes n’ont pas tout à fait la même incidence, dans les oreilles des uns et des autres. Il faut donc essayer de se faire un avis sur la question, en écoutant les impressions des uns et des autres, tout en restant à sa place dans ce pays qui n’est pas le notre.

Mais ce qui nous semble être la vraie question qui divise les Égyptiens en ce moment, qu’ils soient musulmans ou coptes, c’est de savoir si ils veulent vraiment d’un État islamique. Car si les arguments des deux camps vont au delà de cette question, elle semble cristalliser le débat.

Et je me suis rendu compte de sa complexité, lorsque mardi dernier, en voyant passer la manifestation, j’ai assisté à une scène assez étonnante au moment où l’appel a la prière a retenti : les manifestants anti-Morsi qui entonnaient des slogans aux rythmes de leurs pas sur la rue Fouad (la plus ancienne rue d’Alexandrie) se sont arrêtés au milieu de la chaussée, pour prier, avant de repartir à leur combat. Vous avez-dit paradoxal ?…

Crédit photo : Ingrid Quefeulou&Paulina Raduchowska

 

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