Le jour où je suis devenue féministe
Le féminisme, avant, je le considérais comme un courant de pensée et de révolte un peu démodé, réservé à quelques quinquagénaires aux cheveux courts qui perpétuaient les combats de la révolution de 1968 pour le droit à l’égalité salariale, à la liberté sexuelle, à l’émancipation du carcan familial, au droit au travail… Mais je pensais aussi naïvement que ces combats n’étaient peut-être pas les plus importants, dans notre monde globalisé où les inégalités vont bien au delà de l’oppression du « deuxième sexe ».
Pourtant, à l’heure où l’on célébrait la journée internationale de la femme, un vent de féminisme s’est éveillé en moi.
Des raccourcis souvent maladroits circulent sur le droit des femmes dans le « monde arabe », de l’image de la burqa à celle de la femme soumise qui fait la cuisine et s’occupe des enfants pendant que son mari est sorti.
Quand je suis arrivée en Egypte, la première question que me posaient les égyptiens après les traditionnels : comment trouves-tu l’Egypte? Comment te sens-tu ici?… était la suivante : comment vis-tu le harcèlement sexuel? C’est désormais reconnu dans la société, il existe du harcèlement sexuel en Egypte. Il existe également des femmes et des hommes engagés qui luttent contre mais aussi une «révolte» des femmes dans le «monde arabe» qui se lit jusque sur les murs de nos rues. Le harcèlement existe aussi à Paris ou à Marseille où l’on peut encore, dans ce pays des droits de l’homme (et de la femme?), se «faire toucher les fesses» dans la rue où dans le bus lorsque l’on est une femme.
Au delà de ces faits qui restent marginaux, (je veux ici rassurer mes parents qui liront cet article !), il y a une tendance qui a retenu mon attention et qui m’a révolté. C’est cette soi disant bienveillance qui est ici répandue, mais aussi largement pratiquée en Europe, ne vous y méprenez pas! Celle qui consiste à placer la femme non pas comme l’égal de l’homme mais comme «complémentaire». Celle qui la met dans une position de «faible», «dominée» voire «incapable» dans ces petits riens qui font son quotidien : on lui porte ses affaires, on lui tient la porte (jusqu’ici de grave messieurs on peut apprécier la galanterie), mais je dis stop lorsqu’on on agit à sa place, on lui paie tout, on s’interpose pour prendre la parole à sa place face à un homme, on lui dit comment s’habiller pour ne pas qu’on l’importune…
On me répondra que c’est pour son bien, que la femme est différente physiquement de l’homme par nature, et que c’est pour la protéger des individus qui auraient des mauvaises pensées en la regardant, en particulier si elle est jeune, étrangère et frêle ; que c’est une preuve d’amitié et de bienveillance que de vouloir la protéger. Je l’entends. Mais vous n’imaginez pas comme tous ces petits riens soulèvent en moi un vent de révolte, et un sentiment d’infantilisation. Messieurs, vous aurez beau me dire que c’est pour mon bien, lorsque vous agissez ainsi (et je ne remets pas en cause votre bonne foi !), lorsque ça me concerne, je me sens comme un petit être fragile, à l’image d’un enfant, qui a besoin d’être représenté parce qu’il n’est pas assez grand pour agir lui même. J’ai l’impression que l’on ne prend pas en compte qui je suis vraiment, que l’on me néglige . Je me sens nulle. Je me sens finalement humiliée, comme lorsque l’on me siffle dans la rue. Je me sens objet. Et je déteste ça.
Je prends conscience qu’il n’est pas question ici d’adaptation culturelle ou de nationalité mais de respect des personnes, des femmes. Et que c’est à moi (à nous?) de poser les limites de ce respect.
J’ai lu, il y a quelques temps un article à ce sujet, dans un magazine de vulgarisation de la psychologie que vous connaissez sans doute, et qui n’est pas sans raccourcis simplificateurs, mais cette idée avait là retenu mon attention :
Les journalistes se posaient la question de savoir pourquoi les jeunes footballeurs, nouveaux riches de notre société du spectacle, allaient voir les prostituées (souvenez-vous du scandale de Zahia, une prostituée devenue célèbre par ses clients de l’équipe de France?) pour subvenir à leurs besoins sexuels alors que toutes les femmes du monde étaient à leurs pieds et qu’ils pourraient y parvenir sans dépenser un «sou». La réponse mettait en avant le désir de posséder la femme : dépenser une somme d’argent pour coucher avec une femme leur accordait la jouissance de la possession de son corps, en tant qu’objet, leur toute-puissance, en somme.
Je comprends maintenant le sens de ces mots. Et pour moi, c’est ici le cœur du problème. Une femme-objet n’a pas le pouvoir de décider ce qui est bien pour elle. Une femme-objet n’est pas en mesure de choisir l’homme, la femme ou même les hommes avec qui elle vivra, rêvera, et/ou couchera.
La considérer ainsi ouvre la porte à tous les abus et autorise toute les violences : harcèlement sexuel (physique ou psychologique), violences conjugales, viol…
Doit-on considérer la femme comme l’égal de l’homme et ne pas hésiter à la placer en ligne de front lors des conflits, ou la faire travailler pendant sa grossesse? Où sont les limites entre féminisme et différences physiques indiscutables ? La femme est aussi et surtout différente de l’homme par culture, parce qu’on lui offre encore des poupées quand elle est encore enfant plutôt que des petites voitures, qu’on lui permet de pleurer plus que les petits garçons car elle, peut être faible alors qu’eux doivent être forts, et qu’on continue alors qu’elle est adulte à la considérer ainsi.
Je vous invite à lire un très beau livre qui a le mérite de reposer des questions que nous avions oubliées depuis longtemps, confortées par des acquis de la «révolution sexuelle» de nos parents, qui n’ont pas évolués depuis (dans le bon sens)…
Il raconte la transformation d’une jeune femme éduquée comme un homme, qui peu à peu, prend conscience de sa féminité et (re)devient femme : « La nuit sacrée », de Tahar Ben Jelloun.
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