De Marseille à Paris : Les gens ordinaires sont exceptionnels

Article : De Marseille à Paris : Les gens ordinaires sont exceptionnels
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19 février 2014

De Marseille à Paris : Les gens ordinaires sont exceptionnels

 

Crédit image: Marine Fargetton https://unprintempspourmarnie.mondoblog.org/
Crédit image: Marine Fargetton https://unprintempspourmarnie.mondoblog.org/

 Il y a longtemps que je voulais vous décrire mon univers… Il y a des jours, lorsque je me balade dans mon quartier, je me dis que l’on pourrait en faire un livre ou un film tant il y a des scènes déjà cultes, des personnages que l’on ne voit nulle part ailleurs, et qui sont pourtant ici tellement réels. Ils sont exceptionnels. Je me dis alors que si les autres mondoblogueurs arrivent à nous conter leur quotidien avec malice et humour, il doit bien y avoir quelque chose à tirer de cet univers. Je me suis donc jeté donc à l’eau.

Mais lorsque j’ai fais lire mon « chef-d’œuvre » autobiographique à Marnie la dessinatrice, elle a reconnu dans mon extravagante médina (centre-ville) provinciale, sa sweet banlieue pourrie parisienne. Vous aurez donc le privilège (que dis-je l’immense honneur!) de pouvoir admirer ses illustrations et de vous délecter de ses tranches de vie à la suite des miennes.

 

Une journée ordinaire dans mon quartier

Par Pascaline

 

La gare

Gare Saint-Charles de Marseille (crédit photo:Robert Valette)
Gare Saint-Charles de Marseille (crédit photo:Robert Valette)

Surplombant le centre ville, en face de la « Bonne Mère », l’immense cathédrale qui symbolise Marseille, la gare est située sur une colline, entourée par ponts et tunnels qui laissent passer un flux incessant de voitures entrant ou sortant de la ville dans un bourdonnement continu.

Le bâtiment de la gare est voisin de l’université des Sciences et de la cité universitaire. Derrière, on peut voir une série de petites rues parallèles qui descendent vers le boulevard National, une des « grandes artères » de Marseille, commerçante et populaire. Dans ces rues en pente encombrées par les voitures mal garées, se trouve un collège, quelques snacks, beaucoup d’immeubles anciens un peu défraîchis et quelques uns plus récents et « standardisés », des logements sociaux aux résidences étudiantes en passant par un foyer pour femmes. Il y a aussi la résidence sociale, où je demeure.

On dit souvent que les quartiers autour des gares concentrent les différences et les extrêmes d’une ville. Marseille ne déroge sans doute pas à la règle. Je passe au moins deux fois par jour au milieu du grand hall de la gare Saint Charles et je ne me lasse pas d’observer les gens. Des riches, des pauvres, des rebelles, des sages, des beaux, des laids, des gentils, des méchants, des mal-aimés, des mal-baisés, des serviables, des revêches… la liste pourrait continuer à l’infini tant cette gare peut nous surprendre.

Lorsqu’on traverse une gare, on a toujours l’impression de partir en voyage. Tout à l’heure, en montant les escaliers de Saint-Charles, je me suis amusée à deviner ceux qui partaient et ceux qui restaient. C’était l’heure de fin de journée pour les travailleurs et travailleuses : chignons ou brushing, talons et trench pour les dames, mallettes en cuir, manteau noir et souliers vernis pour les messieurs. D’autres sont plus casual, mais tous se reconnaissent par leurs pas pressés pour ne pas manquer leur train, parfois un sandwich à la main.

 

Les passants

En fin de journée, lorsque les travailleurs extérieurs sont partis, restent les Marseillais. Les mères de famille débordées qui n’ont pas toujours eu le temps de s’habiller le matin, les étudiants un peu bobo qui ont toujours l’espoir de changer le monde, les SDF un peu crasseux qui viennent trouver refuge dans ce bâtiment ouvert à tous, ou encore les militaires, qui règnent en maîtres sur la terrasse de la gare, leur arme à la main.

Dans mon quartier, les horaires de travail n’ont pas tellement d’importance, car quelque soit le jour et l’heure, les petits commerces du boulevard National sont ouverts et les habitants discutent au coin d’une rue, se disputent par la fenêtre, chantent parfois, rient, pleurent… Bref, ils vivent, à haute voix et sans fard (aucun).

Parfois, la paranoïa des médias m’envahit et je crois voir en chaque passant à une heure un peu tardive, un tueur potentiel qui cache sa kalach(nikov) dans sa sacoche ou dans les poches de son jean, n’étant pas vraiment au courant des dernières nouveautés en matière d’armement. Parfois j’ai l’impression que mon quartier est sous surveillance, non pas des vidéos de la Police Nationale, mais des miradors qui se cachent derrière les rideaux de chaque maison, et qui au moindre souci, interviennent. Ces femmes feront leur compte-rendu le lendemain, au croisement de la rue, que je pourrais toutefois entendre sans trop prêter l’oreille, depuis ma fenêtre du sixième. Ce doit être la version locale de Radio Galère, la radio marseillaise au nom unique en son genre.

On dit que chaque quartier de Marseille est comme un village avec son esprit et sa personnalité. J’ai habité de nombreux quartiers touristiques , du vieux port à la plaine plus « bobo », en passant par le 13ème, plus populaire. J’y ai vu des différences à bien des égards mais celui là, je ne saurais comment le définir ou même le classer. Il est peut-être un mélange de tout ça. Je pense que l’on pourrait en faire un roman avec tous ses personnages.

 

Les commerçants

Les commerçants? On pourrait en faire une dissertation. Il y a le papy libanais qui tient le cyber-café, mais qui n’y connaît rien en informatique. On dirait toujours qu’il est là par hasard, « j’ai un scanner, si vous savez vous en servir, dites-moi ». Mais on ne peut que lui pardonner, vu sa gentillesse. En fait, sa vraie compétence réside dans le service de renseignements. Personne ne sait mieux que lui si la Poste est ouverte aujourd’hui, si le cyber d’en bas fait les impressions couleurs ou si l’on trouve d’autres épiceries dans le quartier.

Ensuite, il y a le boulanger, qui me sert aussi de relais d’information en cas d’événement dans le quartier: « oui il était là jusqu’à minuit hier, non il n’a rien entendu ». Je vous l’accorde, on a vu mieux comme indication, mais sa présence me rassure parce que je sais qu’il me reconnaît, et il a des pizzas pas chères quand je n’ai plus rien à manger. Il a aussi de très bonnes pâtisseries orientales dégoulinantes de miel.

Ensuite, à côté de la boulangerie ,et en face du discount alimentaire il y a un « bric à brac » dont je ne connais pas le nom officiel (on l’appelle le magasin bleu ou le Lycamobile). Son propriétaire répare les portables, vend des chargeurs et des accessoires, répare aussi des ordinateurs. Mais il fait également des numérisations ou des impressions, lorsque les autres magasins sont fermés. Il faudra donc passer derrière le comptoir, enjamber quelques lignes de fils emmêlés, et s’installer à sa place derrière son ordinateur poussiéreux. Après ça, je renonce à me demander si ses prix sont officiels !

 

Les petits jeunes

Sinon, dans mon roman, il y aurait aussi les petits jeunes du bas de l’immeuble, les « cailleras » comme on dit, garçons et filles agglutinés sur les marches des entrées d’immeubles, ils écoutent la musique sur leurs smartphones et papotent en buvant des sodas. J’ai beau essayer de capter leurs conversations à chaque fois que je passe devant, je ne sais pas de quoi ils parlent, de quoi ils rêvent. On dirait qu’ils ne sont là que pour rendre le tableau plus complet. Parfois, quand je rentre un peu tard, j’en vois un ou deux qui me demandent si j’ai une clope, un 06 ou si je veux du shit :

– « non merci »

– « ok, bonne soirée »

– « à vous aussi »

Je crois que ce sont eux la nuit dernière, que j’ai entendu courir pour faire fuir un clochard éméché qui réveillait tout le quartier. Il insultait de tous les noms d’oiseaux quelqu’un qui, visiblement n’était pas là du tout. Dans ces moments là, je me dis que la misère humaine s’est donnée rendez-vous à Marseille, dans mon quartier. Quand je croise ces âmes un peu paumées, qui avancent l’air hagard et qui parlent parfois toutes seules pour cracher leur haine d’une société qui les a laissé sur le bas côté.

 

Les voisins

Dans mon foyer, il n’y a que des jeunes. De toutes origines. Ils sont sans doute comme moi ici surtout pour le prix du loyer plutôt que pour la vue sur le upper-east Saint-Charles. Parfois, ils me prennent pour une des travailleuses sociales du rez-de-chaussée et me demandent si j’habite ici. D’autres m’indiquent la laverie, on se salue. Pas plus, ici c’est chacun pour soi et Dieu pour tous.

Les garçons du foyer se retrouvent souvent au rez-de-chaussée pour regarder les matchs de foot et les commenter, comme le font les autres habitants du quartier dans les bars du coin qui sentent encore l’odeur du tabac froid datant de l’ère d’avant la loi Evin. Il n’y a alors pas besoin d’avoir de téléviseur pour connaître les résultats. C’est comme ce jour des matchs qualificatifs de la coupe du monde, quand j’ai entendu crier dans la rue, j’ai pensé que la France s’était qualifiée, puis tout à coup, après les klaxons et les youyous, j’ai pu distinguer « one, two, three, viva l’Algérie!». Ce n’était donc pas la France. Pourtant, quelques minutes plus tard, nouveaux coups de klaxons pour me signaler la qualification. Toutes les occasions sont bonnes pour célébrer le Dieu football. Cette nuit là a été un concert de klaxons, me faisant remarquer qu’à Marseille, si vous n’allez pas au football, c’est le football qui vient à vous, que vous le vouliez, ou non.

Donc je crois qu’il y aurait aussi du football si je devais écrire un roman sur mon quartier. Curieusement, il n’y aurait pas de morts sur fond de trafic de drogue, ou de caïds en Mercedes « benz-benz-benz » qui viendraient jouer les durs au bar du coin. J’ai vérifié le lendemain dans la Provence à chaque fois que j’ai vu ou entendu des bruits insolites mais je n’ai pas vu tout cela. Parfois, je me demande si c’est le journal TV, les livres ou les films de Scorcese qui me donnent ces idées là. Ma pratique de terrain me laisse penser que l’on est sans doute plus près des petits trafics des crapules du film « Comme un aimant » que l’on trouve presque sympathiques avec leur côté « loosers » que des gros caïds à la Scarface. Où alors, je n’ai encore rien compris ?!

 

Une journée ordinaire dans un (lointain) faubourg de la capitale

Par Marine Fargetton

 

En tant que dessinatrice improvisée qui s’invente chroniqueuse d’un jour, je vous préviens d’avance que le texte qui suit n’est pas des plus déliés. J’ose quand même espérer que les as de la plume auront un regard bienveillant envers mon stylo hésitant et sauront s’amuser du style bancalo-précaire qui sera le mien pour l’occasion.

Voici donc un aperçu personnel de mon bled, suivez-moi, je vous emmène !

 

Plantons le décor… 

Je vous écris donc du fin fond d’une banlieue parisienne, de celles que l’on qualifie allègrement de dortoir car si ce n’est contempler béatement leurs caractéristiques alignements de béton en barres, on n’y peut faire que dormir. Pas de centre-ville vivant comme décrit par Pascaline, non.

Cela dit j’exagère, car je vis tout de même pour ma part dans un chef-lieu*, avec sa préfecture et son centre commercial. Comme les pôles négatifs et positifs d’un aimant, voilà les deux parties essentielles d’un bon chef-lieu qui se respecte! Il semble en effet que tant que les papiers sont bien faits et l’argent bien dépensé, tout le monde peut dormir sur ses deux oreilles dans sa banlieue dortoir.

Je vous épargnerai pour ma part le récit du foyer pour jeunes, de ces cailleras qui s’improvisent concierges du soir, bonsoir, et du Dieu foot qui vient jusqu’à tes oreilles quoi qu’il arrive même quand tu te calfeutres (comme ma personne) sous ta couette devant un film… Enfin dans mon cas, le foot est déjà chez moi et le mal (le mâle !) est fait ! Si ça braille, c’est à la maison, et j’ai les résultats en direct (chez moi) et en différé (à ma fenêtre).

Oui, je disais, je vous l’épargnerai car cela a été décrit si bien par Pascaline que l’on aurait dit ma propre vie !

 

Donc son centre commercial…

Un lieu des plus animés du dimanche au samedi, bourdonnant telle une ruche où chacun sait ce qu’il doit acheter, où les djeuns s’agglutinent, où les vigiles des magasins s’entraînent au sprint derrière des lièvres faucheurs plus rapides qu’eux, où les demoiselles pavoisent, les autres regardent, les enfants courent et les parents crient !

La routine habituelle d’un de ces centres, où la vie commence à 10 heures et s’arrête à 19, construits pour parer à des rues commerçantes inexistantes dans ces villes pourtant devenues chefs-lieux, avec leur tribunal, leur préfecture.

 

Et puis sa préfecture…

Austère bâtiment ou chacun passe pour immatriculer sa voiture, régler d’obscurs tracas administratifs et aussi renouveler ses papiers. On y va beaucoup pour ça.

Dernièrement ils étaient encore là. Bien après la nuit tombée et la fermeture des commerces dont je parlais, ceux-ci ayant laissé place à un tout autre spectacle nocturne.

Alignés en rangs d’oignon, à même le sol froid de l’hiver (ou sur des chaises pliantes pour les habitués), ils forment leur file d’attente pour faire partie des cent premiers numéros à avoir la grâce d’être reçus le lendemain matin à la préfecture.

La file est organisée, chacun sa place. Qui s’improvisant chef de rang, s’arrangeant pour se faire garder sa chaise, pour aller manger ou se réchauffer… Hommes, femmes, vieux, jeunes sans distinction aucune, si ce n’est l’urgence commune de mettre en ordre ses papiers, de maintenir sa situation « régulière ». La routine habituelle pour ces pauvres âmes refoulées par le ressac administratif.

C’était un dimanche soir en direct de ma sweet banlieue pourrie** , mais chez moi, ce n’est pas Cergy !

* une ville qui est administrativement prééminente dans une division territoriale ou administrative

** Anis, La Chance

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Commentaires

Stéphane Huët
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Vraiment excellent les filles !
Je connais un peu Marseille pour y avoir vadrouillé régulièrement pendant mes années d'études. Pascaline, tu me donnes une petite pointe de nostalgie. Je revois parfaitement ce coin de la gare Saint-Charles - qui a été rénovée avant mon départ. Et Radio Galère ! Je suis allé quelques fois au studio car un ami y travaillait.
Marine, n'hésite plus. Je me suis amusé dans le bon sens du terme. Merci pour cette visite guidée de la banlieue parisienne que je ne connais pas du tout.
Grâce à vous, la France me manque vraiment maintenant.

pascaline
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AHah vraiment?!! Toi qui voyage partout, tu as la nostalgie nos petites bourgades populaires et complètement barrées?!!! Merci du compliment en tout cas, nous on s'est amusé à le faire! Surtout qu'au départ, ce n'était pas prévu de faire un double témoignage!!! Mais c'est ça le plus drôle!
Pour la radio galère, ils font des trucs chouettes, ils ont même un festival (je te laisse imaginer l'ambiance) en septembre. Je crois que j'avais rencontré quelqu'un de là bas, lors d'une tentative (avortée) de participation aux Indignés de la Belle de mai, il y a deux ans...!

Marine
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Merci Stéphane! Tant mieux si ce petit aperçu de nos bons vieux bledous parigots t'as fait voyager, pour le mien, le déplacement n'en vaudra pas la peine!! Eh Pascaline, high 5 à l'upper east Saint Charles!!

Serge
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Le mâle est fait hein Marine?
Lol, que serait la vie sans le foot, hein Pasca? Moi, si y a une chose que je ne changerai jamais de la vie c'est justement ces discussion chaque fois que j'en ai l'occasion sur le dernier match de Liga, de la premiere league ou de la C1... au Brésil c'est plus facile car tout le monde aime alors... imaginez-vous qu'avec mon directeur de mémoire, on ne commençait pas une séance d'études sans parler foot... yehaaa !
Mais sérieux, j'aime beaucoup les centres villes, surtout qu'ici c'est souvent aussi les quartiers historiques avec des batiments datant des siècles passés... trop beau !
ce que je retiens de votre texte aussi c'est que la vie est très chere en france, surtout les loyers... comme le Brésil fait 8 ou 15 fois la France (j'ai pas vérifié), y a du coup plus d'espace... surtout au Nordeste où j'habite...

Marine
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Eh oui, quoi de plus fédérateur que le foot?!! J avoue que s il disparaissait de mon arrière plan sonore, il me manquerait sûrement!!! Cela dit je n ai jamais réussi a amadouer mon propre directeur de mémoire avec! A tester :-)

Aurore
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Ô chaud chaud chaud ! Mais quel bonheur de vadrouiller à nouveau à Marseille avec vous! Qu'est ce que j'ai pu y débarquer sur un coup de tête entre 2001 et 2004 quand j'étais sur Montpellier et Aix. Ô que j'en ai des souvenirs à Marseille! Super billet et dessin les filles!