Le long chemin des harragas vers la « liberté »

Article : Le long chemin des harragas vers la « liberté »
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18 décembre 2013

Le long chemin des harragas vers la « liberté »

19216345Aujourd’hui, c’est la Journée internationale des migrants. Aujourd’hui, c’est aussi le jour de sortie en France du film adapté de la biographie de Mandela « Un long chemin vers la liberté ». Aujourd’hui, c’est enfin le jour que j’ai choisi pour vous parler d’un film qui m’a marqué, lors des rencontres « Nouvelle jeunesse algérienne » organisées les 22 et 23 novembre par la ville du Kremlin-Bicêtre. Était alors diffusé Harragas  (les brûleurs en arabe), de Merzak Allouache.

Ce titre est volontairement ironique quant au sujet qui suit. Vous allez me dire, on ne rigole pas lorsque l’on parle d’immigration clandestine, car souvent il y a derrière ce terme des histoires de vie douloureuses. Pourtant le réalisateur a réussi à nous faire sourire souvent, rire parfois. Je vous livre ici mes impressions, notées à la sortie de la salle, il y a quelques semaines de cela…

Des films sur les « boat people » il y en a eu d’autres… Mais je ne les ai pas vus. « Trop durs, trop violents » pour la petite nature que je suis, qui ne supporte aucune forme de violence trop « vraisemblable » et sans effets spéciaux au cinéma. Syndrome d’un malaise qui frappe toute la société vis-à-vis d’un phénomène qui ne peut être expliqué par ce terme de « boat people », trop romancé, qui donne l’illusion que l’on parle de la découverte de l’Amérique par Christophe Colomb. La découverte d’un « Nouveau Monde » est peut-être le seul point commun avec l’histoire que je vais vous conter.

Je l’ai vu malgré moi. Ou plutôt, je ne savais pas vraiment a quoi m’attendre quand je me suis assise devant l’écran. La première scène où l’on voit les pieds d’un pendu se balancer au-dessus du vide nous laisse deviner la gravité des propos qui vont suivre. Mais il est trop tard, impossible de reculer. Il va bien falloir les affronter, comme il faudra à ma société affronter la question de l’immigration clandestine.

Harragas n’est pourtant pas uniquement un film dramatique qui dépeint une réalité qui l’est plus encore. C’est avant cela un film qui nous fait rire, qui nous transporte avec ses personnages dans leur aventure à la conquête de leur vie et de leur liberté. Liberté vis-à-vis d’une société algérienne qui semble ne pas les comprendre, ou ne pas les entendre. Une société malade qu’ils veulent quitter quel qu’en soit le prix à payer, par ce que « rester serait mourir », alors il y en a qui meurent et d’autres qui partent.

Pour aller retrouver quoi ? On se pose la question tout au long du film, mais eux, Rachid, Nasser dit le beau gosse et sa bien-aimée Imène, mais aussi les bédouins, le barbu et le flic déserteur, ils ne se la posent qu’en voyant arriver les côtes espagnoles, l’Eldorado, la terre promise. Certains n’iront pas jusque-là. Mais tous essayeront jusqu’au bout, jusqu’au prix de leur vie. Tous ces personnages motivés par différentes raisons, plus ou moins sombres, mais qui se retrouvent, comme ils le disent, « les ploucs et les fils à papa » dans la même galère sur le bateau qui les mènera en Espagne, inchallah. Une fois embarqués, ils ne peuvent que s’en remettre à Dieu, car il leur est impossible de faire demi-tour.

Harragas c’est un portait (subjectif) d’une jeunesse algérienne téméraire et inventive, décalée par rapport à son pays en pleine contradiction. Ce pays que je ne connais qu’à travers les récits de ceux qui sont passés de l’autre côté du miroir. Un regard inévitablement biaisé, car lorsque l’on regarde d’une rive à l’autre, on n’aperçoit pas la même côte. Et lorsque l’entre-deux qu’est la mer Méditerranée devient de plus en plus infranchissable, les regards vers l’autre rive sont sans doute encore plus fantasmés.

Mais l’important n’est-il pas de chercher à faire tomber ces mythes comme l’on voudrait faire tomber ces barrières invisibles, mais pas invincibles, insidieuses et humiliantes ?

C’est ici, à mes yeux que les artistes, écrivains, citoyens, ont les moyens d’agir. D’investir tous les espaces de liberté, aussi minimes soient-ils pour venir inviter leurs lecteurs, spectateurs ou auditeurs à s’interroger, et à venir questionner avec eux la réalité qui est la leur, à un moment donné.

Merzak Allouache nous l’a dit au début du film, les retours qu’il a eus de ce film et les problèmes qui s’en sont suivi ont totalement changé sa manière de faire du cinéma depuis  Harragas . C’est pour moi le signe qu’il a pleinement investi son rôle d’artiste, qu’il a défendu un point de vue, contestable et contesté, mais c’est ce qui lui donne toute sa valeur. Il a interrogé  la société algérienne sur les raisons pour lesquelles les jeunes voulaient la quitter, comme il a interrogé la société « Schengen » sur les raisons de son rejet et sa violence infligés à ces jeunes alors qu’ils n’avaient pas encore mis un pied sur son sol. Et il nous a interrogés nous, spectateurs, sur notre position, sur nos émotions et sur nos perceptions de l’immigration.

Et c’est à mes yeux le plus important afin que l’on demeure « des Hommes qui interrogent » comme le disait Frantz Fanon. Car c’est peut-être ici notre quête de liberté….

 

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