Quand le jazz s’invite à ma porte
Lorsque je m’éloigne de la mer, c’est le plus souvent pour un retour aux sources, dans ma région d’origine. Et je ne manquerai pour rien au monde le festival de Jazz où j’ai passé mes premiers concerts, il y a quelques années de ça, dans le théâtre antique de Vienne. Non, ce n’est pas de la capitale autrichienne dont je parle, mais une charmante petite bourgade entre Lyon et Valence, en France, qui organise chaque année un festival de Jazz désormais reconnu mondialement.
Ainsi, j’ai appris que le grand Miles Davis avait foulé la scène du théâtre antique en 1991, à ma grande surprise : Miles Davis chez moi ? Je n’en croyait pas mes oreilles ! Et l’édition de cette année nous promettait bien des surprises, avec des grands noms tels que Santana, Chucho Valdes et Buika ou encore Ben Harper. Il y avait même comme surprise, la venue de Rodriguez, ce chanteur de Détroit (USA) devenu symbole de toute une génération anti-apartheid en Afrique du Sud alors qu’il ne le savait même pas. Il est depuis devenu septuagénaire, héros d’un film, « Sugarman » et a fait de nombreuses tournées notamment en Afrique du Sud.
https://soundcloud.com/legacyrecordings/rodriguez-sugar-man
Je me suis donc laissée embarquer dans le swing du jazz à Vienne du 28 juin au 13 juillet. Imaginez un peu mon étonnement, lorsque j’ai entendu le jazzman reconnu Marcus Miller, qui a justement longtemps collaboré avec Miles Davis et depuis à fait son bout de chemin, me parler de Gorée et de la maison des esclaves où j’étais il y a quelques mois, avec mes camarades de Mondoblog. Pour la petite histoire, Barack Obama y était aussi il y a quelques temps.
Marcus Miller « petit génie de Brooklyn », à dédié une chanson à l’Ile de Gorée, pour y exprimer la tristesse et le malaise qu’il à ressenti dans cette « maison », devant la porte du voyage sans retour. Mais cette chanson, disait-il, voulait aussi exprimer la capacité des hommes à transformer quelque chose d’incroyablement triste et horrible, en une chose aussi magnifique que le jazz ! Il disait que cette porte symbolise la fin du voyage pour tous ces africains qui y sont passés, esclaves emmenés de force vers les Amériques, et le début d’un autre voyage pour tous les afro-américains, dont il fait parti. Je n’avais jamais vu les choses de cette façon. Je suis donc allé me pencher sur l’histoire du jazz pour comprendre tout le sens de son propos, et je n’ai pu m’empêcher de me demander si Barack Obama avait eu le même sentiment en passant cette porte.
L’histoire nous ramène à La Nouvelle Orléans, dans l’état américain de la Louisiane, dont je sais peu de choses sinon qu’il fut autrefois francophone et que ses maisons coloniales blanches aux hautes colonnes ornent les rues. Dans cet Etat du Sud, un événement marqua l’histoire de cette musique : l’adoption et le durcissement dans les années 1890 des lois ségrégationnistes, séparant les noirs des blancs, et interdisant aux musiciens noirs de jouer aux côtés des blancs. Les professionnels jouèrent alors dans des fanfares et orchestres noirs, comme si la musique avait une seule couleur et le passé une seule douleur… Mais Marcus Miller l’a bien dit, il est ressorti de ces périodes sombres de notre histoire, une chose positive. Le jazz à été influencé par cette histoire, de la période de l’esclavage, des champs de coton, et leurs chants de travail, à celle de l’exode rurale de ces populations noires fin 19 ème siècle, qui fera évoluer le blues et avec ça le jazz qui y tire son essence.
J’ai continué mon périple à travers la musique, à la manière de Soro et Vladimir dans l’Afrique enchantée. Je me suis donc arrêté en Californie, avec Marcus Miller qui m’a fait découvrir le jazz et a redonné à la basse ses lettres de noblesse. Puis j’ai voyagé entre Los Angeles, l’Espagne (Denia) et Lagos, avec Keziah Jones. J’ai aussi traversé un pont entre la France et le Liban, avec le trompettiste Ibrahim Maalouf, connu pour son mélange des genres entre Jazz, musique traditionnelle, rock, slam, funk et même métal. Il nous a offert ici une prestation plus classique, en écho à son album Wind, conçu comme une œuvre cinématographique. Il est aussi venu nous prouver par A+B sa profonde admiration pour Miles Davis et pour le film dramatique dont il a composé la musique, « Assenseur pour l’échafaud » de Louis Malle. Pari réussi, on a eu envie d’aller voir le film.
Enfin, dans mon voyage vers les Amériques, je suis allée jusqu’à Cuba pour écouter les mélodies chantantes de l’orchestre du Buena Vista Social Club. J’y ai ressenti l’ambiance des clubs de la Havane des années 40, où le chant, la danse, et la sensualité sont les maîtres mots, où tout le monde se laisse emporter par les rythmiques endiablées, et où la beauté n’a pas d’âge. Ainsi, mon regard s’est arrêté sur Omara Portuondo, 83 printemps cette année et qui à fait de cette soirée, un moment de grâce.
https://soundcloud.com/world-circuit-records/buena-vista-social-club
Le jazz à Vienne aura été cette année remplie de belle histoires, derrière ses talentueux musiciens, et m’aura rendu fière de ma région, pouvant accueillir les plus grands spécialistes d’une musique centenaire.
Duo Ibrahim Ferrer, Omara Portuondo, accompagnés au piano par Roberto Fonseca
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