La bataille de Karbala : le culte du martyr par les chiites

Article : La bataille de Karbala : le culte du martyr par les chiites
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20 février 2017

La bataille de Karbala : le culte du martyr par les chiites

Mon histoire commence à Dakar, dans une petite rue du quartier du Plateau (centre ville), au cœur de la communauté libanaise de la ville. Elle nous mènera ensuite jusque dans une petite ville du désert irakien, à Karbala. C’est dans cette ville qu’a eu lieu une bataille historique, le 10 octobre 680, qui est au cœur du déchirement de l’Islam entre chiites et sunnites (courants de l’Islam). C’est aussi l’origine d’une grande fête : Achoura, célébrée chaque année en Irak mais aussi au Sénégal et dans le monde entier. Cette bataille m’a été racontée par une dame libano-sénégalaise chiite, rencontrée par les hasards de la vie.

Tout avait commencé lors d’une discussion à propos du nouveau président libanais, Michel Aoun, et du système électoral du pays qui réserve les principaux postes de l’État aux trois plus importantes communautés religieuses (chrétiens maronites, musulmans chiites et musulmans sunnites). Puis la discussion avec Fatima avait glissée vers les chiites du Sénégal dont cette sénégalo-libanaise d’une cinquantaine d’années  faisait partie. « Il y a beaucoup de chiites au Sénégal », m’affirmait-elle, « dans notre groupe de prière, il y a même un jeune homme sénégalais qui nous a raconté la bataille de Karbala avec beaucoup d’émotion ! »

Quelle était donc cette bataille si importante pour la communauté chiite ? 

La mosquée de l’Imam Hussein à Karbala. Crédit : Wikimedia commons

J’allais bientôt en savoir plus… Fatima me raconte que cette bataille est un moment très important pour la mémoire collective de sa communauté. Elle me dit que chaque année en Irak, des centaines de milliers de personnes affluent vers la petite ville de Karbala pour commémorer le décès de l’Imam Hussein, petit fils du prophète Mahomet, né de l’union de sa fille Fatima et de son cousin Ali. Ils ont eu deux fils ensemble : Hassan (né en 625) et Hussein (né en 626). Mon interlocutrice ajoute, pleine d’admiration, que durant le pèlerinage, les habitants ouvrent leur maison aux pèlerins et leurs offrent les meilleurs mets à manger et parfois même de quoi dormir.

J’apprendrai plus tard que la bataille de Karbala a eu lieu environ 50 ans après la naissance de l’Islam et qu’elle marque un tournant dans l’histoire de cette religion car elle signe l’apogée de la division entre chiites et sunnites. Elle symbolise le culte du martyr par les chiites. Mais pour mieux comprendre son importance, il faut revenir aux premières années de l’Islam

Après la mort du prophète Mahomet, des divisions quant-à sa succession à la tête de la communauté ne tardent pas à arriver.

Les trois premiers califes de l’islam (632-656) sont Abu Bakr (qui réprime le retour à l’apostasie, c’est à dire tout abandon volontaire de la religion), Omar et Othman (qui consolident l’Etat et conquièrent l’Iran, l’Afrique du Nord et l’Asie centrale jusqu’aux confins de l’Inde). Les deux derniers finiront dans le sang.

Carte de l’Irak. Crédit : Wikimedia commons

En 656, Ali (le cousin du prophète Mahomet) succédera à Othman, après l’assassinat de ce dernier. Mais la division de la communauté est déjà ancrée et irréversible. La dynastie des Omeyyades règne à Damas et s’oppose à la descendance d’Ali, qui sera finalement assassiné en 661. Ses fils, Hassan puis Hussein, lui succèderont. Il est impossible de comprendre le schisme originel de l’islam sans s’arrêter sur la mise à l’écart d’Ali qui, aujourd’hui encore pour les chiites, constitue le coup d’Etat initial, la faute première, le début de la décadence de l’islam majoritaire. (Source : Le monde, La bataille de Karbala : le baptême de sang des chiites, Henri Tincq, 30 juillet 2007.)

En octobre 680, l’armée des Omeyyades et son calife, surnommé Yazid l’imposteur, coupe l’accès des populations à l’eau de l’Euphrate et la route de Koufa, au sud de Bagdad. Le combat qui attend Hussein et ses proches est inégal car les notables de Koufa se sont désolidarisé les un après les autres. Hussein et ses proches sont décapités et leurs cadavres sont souillés.

« La vie des femmes est épargnée, mais Zainab, demi-soeur d’Hussein, est transférée de force à Damas où elle vivra jusqu’à sa mort en résidence surveillée. Quant à son épouse, princesse iranienne selon la légende, elle aurait été tuée en fuyant ou réfugiée en Iran. Les dépouilles des « martyrs » sont ensevelies à Karbala où, chaque année, le jour de l’Ashura, les chiites défilent encore en pèlerinage. » Source : Le monde, La bataille de Karbala : le baptême de sang des chiites, Henri Tincq, 30 juillet 2007.

Lorsque Fatima me raconte comment Hussein, le petit fils du prophète s’est fait assassiner à Karbala, elle en a des frissons. Elle m’explique le massacre subi par Hussein et ses proches dans cette bataille qui ressemble à un piège. Les soutiens du petit fils du prophète le lâchent un à un et l’armée des Omeyyades est désespérément plus équipée et plus forte. Les derniers descendants du prophète sont torturés, décapités par des mains de musulmans. Leurs corps sont piétinés par les sabots des chevaux et des chameaux. Les soldats s’acharnent sur le cadavre d’Hussein dans une ultime humiliation teintée de cruauté. On raconte même que le gouverneur de Koufa, Ubayd Allah Zyad, cure les dents du cadavre d’Hussein.

Je comprends que cette histoire a un symbolisme important pour mon hôte. Elle me dit avec une émotion teintée de révolte que si l’on est musulman, on ne peut pas renier la descendance de son prophète et elle ne comprend pas que l’on puisse lui faire du mal.

Au moment où elle prononce ces mots, je comprends toute la problématique qui déchire le monde musulman encore aujourd’hui, de l’Irak à la Syrie, en passant par le Liban et la Palestine, plus de 1300 ans après la bataille de Karbala. Je comprends la complexité qui se situe au cœur des croyances, là où l’intime et le sacré dépassent tout raisonnement politique, économique, social ou encore tout sentiment nationaliste. Mais au même moment, j’ai la conviction que si l’on veut comprendre ce qui se joue au Moyen-Orient aujourd’hui, il nous est indispensable de nous pencher sur un pan de l’histoire dont nous sommes (presque) totalement ignorants. Les liens avec l’histoire récente sont souvent démontrés, bien qu’au fond ils restent ignorés. Si nous nous intéressions un peu plus à cette région du monde (pas si lointaine), nous aurions certainement un regard nouveau sur les événements qui se passent ici et là bas…

Pour en savoir plus :
Conférence Orient XXI/Le Monde des Religions : « Chiisme, autorité politique et pouvoir » le 23 février 2017 à l’Auditorium du journal Le Monde (80, boulevard Auguste Blanqui, 75013 Paris).

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