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Aïcha : deuxième épouse du prophète Muhammad

Je m’en vais vous parler de l’histoire de celle que l’on appelle la mère des croyants : Aïcha bint Abi Bakr, deuxième épouse du prophète Muhammad. Troisième volet de la trilogie de Marek Halter après Khadija et Fatima, le roman Aïcha nous éclaire sur la vie de celle qui fut la plume du prophète. Un destin de femme émouvant qui nous transporte au-delà de nos idées reçues et dans les tourments de son cœur.

La mémoire de l’islam

Le roman commence à la première personne, comme pour signifier au lecteur qu’il sera irrémédiablement embarqué bien au-delà de sa lecture, dans la vie de celle dont le destin plane encore sur le monde musulman.

« Moi qui suis devenue l’épouse de Son Messager quand je jouais encore avec mes poupées en chiffon, j’ai vu la parole du Coran naitre sur les lèvres de mon bien-aimé comme un nourrisson fragile avant de se répandre aux quatre horizons. »

Lorsque j’ai entamé la lecture du livre d’Aïcha, je l’ai fait avec une teinte de scepticisme, car j’étais encore marquée par l’emprunte de « Khadija », que je vous ai évoqué ici et de « Fatima », sa fille, qui fut élevée comme un garçon. Mais dès la lecture de ces premières lignes, j’ai lu le roman d’une seule traite, le temps d’un aller-retour en train.

Aïcha a eu un rôle essentiel dans la vie du prophète mais aussi de tous les musulmans. Cette belle rouquine fût d’abord la fille de l’ami le plus cher du prophète, Abu Bakr, également le premier calife de l’islam, avant de devenir l’épouse de Muhammad alors qu’elle n’était pas encore pubère. Durant ses premières années de mariage, elle fit preuve d’une capacité de mémorisation incroyable. Lorsque Muhammad eu la révélation, Aicha était le plus souvent à ses côtés afin de mémoriser les versets du Coran qu’il récitait. On dit d’elle qu’elle était la mémoire de l’islam ; comme nous explique Marek Halter, «la plupart des hadiths, des règles concernant le prophète auxquels tout musulman se réfère, c’est elle qui les a écrites ». Dans son roman, il explique le rôle important qu’elle a joué en toute conscience :

« Aujourd’hui encore, je ne suis que l’œuvre de Muhammad le Messager. De cela, je sais que Dieu le Miséricordieux est satisfait. Il a voulu que ma mémoire soit incomparable afin de la mettre au service de Sa volonté et de Son Envoyé. En temps de paix comme en temps de guerre, Muhammad, mon époux très aimé, y a puisé les mots et les enseignements qu’il y avait déposés comme dans un coffre précieux. »

Epouse bien-aimée du prophète

Mais au-delà de la vivacité intellectuelle d’Aïcha, j’ai été touchée, en lisant son histoire, par la sincérité de son cœur et de ses paroles qui ont guidées sa vie de femme. En effet, l’auteur dresse le portrait d’une femme éperdument amoureuse de son époux, Muhammad, et extrêmement fière de la place spéciale qu’elle occupe dans son cœur. Ainsi, on dit qu’elle était la femme préférée du prophète. Ce sont aussi ses tiraillements intérieurs, ses jalousies, ses doutes… qui en font un personnage attachant. En lisant ses mots, on s’identifie facilement à elle, car ses questionnements sont aussi ceux de milliers de femmes à travers le monde, aujourd’hui encore. Quelle est notre place dans la société, dans notre famille et dans notre propre maison ? Comment faire passer nos idées, défendre nos valeurs dans un contexte où les puissants sont majoritairement des hommes ? Comment bâtir solidement notre couple, faire des compromis tout en gardant notre identité ? Comment être reconnues à notre juste valeur ?

Ainsi, lorsqu’Aïcha est accusée d’infidélité, on comprend sa douleur alors qu’elle est prête à se laisser mourir si son mari doute d’elle. Plus tard, Muhammad recevra une révélation dans laquelle Aicha sera innocentée, mais le mal causé par le doute ne pourra être réparé. Son cœur est aussi mis à l’épreuve chaque fois que le prophète prend une nouvelle épouse, lors d’une bataille victorieuse afin de concrétiser une alliance. La jalousie la ronge et altère sa joie de vivre, alors qu’elle reste digne grâce à sa foi indéfectible et à cette place unique que Muhammad lui a fait, dans son cœur comme dans sa vie. Elle finira, en dépit de cette jalousie, par nouer une relation fraternelle avec Hafsa, l’une de ses coépouses (fille d’Omar, un autre compagnon du prophète) qui deviendra son alliée dans la maison, face aux multiples rivalités qui s’installent.

La relation d’Aïcha avec Fatima, la plus jeune fille du prophète, dont l’âge est proche du sien, sera également tumultueuse. Alors que l’une veut garder son père auprès d’elle, le protéger et apprendre auprès de lui l’art de manier les armes, l’autre veut chérir son époux et passer le maximum de temps à ses côtés tandis que ses compagnons et les affaires de la cité l’accaparent. Pourtant, vers la fin de la vie de Muhammad, ces tensions s’apaiseront et chacune des deux femmes trouvera une place auprès de lui : Fatima lui donnera une descendance alors qu’Aïcha ne peut avoir d’enfants. Son épouse bien aimée le soutiendra et le conseillera dans ses choix et dans la gestion de la communauté.

Il faut bien comprendre que, par les alliances qu’elles suscitaient, mais aussi leurs personnalités et leurs qualités, chacune des épouses eu un rôle à jouer dans la vie de la communauté des croyants, en perpétuelle construction. Cette place se fera en complémentarité avec celle des hommes, notamment les compagnons du prophète.

Mère des croyants

Après la mort du prophète, Aicha s’opposera pourtant à la succession d‘Ali (mari de Fatima et cousin de Muhammad) pour le califat. Elle finira par prendre les armes contre lui au cours de la bataille du Chameau où elle sera vaincue, faite prisonnière puis ramenée à Médine, où il lui sera permis de finir paisiblement sa vie (Source : Univeralis). Certains voient ici les prémices de la Fitna (la discorde) qui aura lieu après la mort du prophète, et aboutira à la division entre chiites et sunnites. Mais ceci est encore une autre histoire…

Miniature représentant la bataille du chameau. Crédit image : 15minutehistory.org

Alors, après avoir refermé les dernières pages du roman « Aïcha », je comprends le rôle essentiel qu’elle a joué auprès du prophète mais également auprès de la communauté des musulmans (umma) toute entière. L’auteur, Marek Halter, met un point d’honneur à « réhabiliter » la place d’Aïcha dans l’Histoire qui a eu tendance à être oubliée. Loin des clichés de femmes musulmanes soumises qui perdurent aujourd’hui, les premières femmes de l’islam jouèrent un rôle essentiel dans une société mecquoise où les traditions patriarcales et le rôle des « clans » prédominaient.

Je n’ai désormais qu’une envie, continuer d’apprendre sur toutes ces femmes ayant jouées un rôle central mais qui, à travers les âges, ont été écartés de la vie active des trois grandes religions monothéistes (le judaïsme, le christianisme et l’islam).


Trésors de l’islam en Afrique : métissage culturel entre la péninsule arabique et le continent noir

L’Institut du Monde Arabe nous fait voyager entre les terres d’origines de l’islam et ses terres d’adoption en Afrique subsaharienne, dans l’exposition « Trésors de l’islam en Afrique : de Tombouctou à Zanzibar », jusqu’au 30 juillet 2017. Je partage avec vous mes découvertes en déambulant au milieu d’œuvres toutes plus belles et plus colorées les unes que les autres.

Aïda Muluneh, City life, 2016. Crédit photo : Pascaline

Commerces et diffusion de l’islam

Né en 622 dans la péninsule arabique, l’islam se diffuse dès le VIIIème siècle en Afrique subsaharienne grâce au commerce et à la construction progressive d’un réseau de marchands dépassant les frontières des pays et des continents. Des alliances économiques aux pactes politiques, en passant par la guerre sainte (jihad), les facteurs de cette expansion sont nombreux et complexes, dépassant les clichés contemporains d’une religion sanguinaire.

Dans le sillon de ces échanges, un processus d’appropriation de la religion par les sociétés africaines se développe d’est en ouest du continent, amenant parfois au syncrétisme avec des pratiques traditionnelles ancestrales. L’idée selon laquelle l’islam a été imposée unilatéralement sur le continent est donc déconstruite au fil de l’exposition. Quelles que soient les origines de l’expansion de l’islam, il y a eu un véritable métissage culturel et la construction d’un patrimoine islamique propre à l’Afrique subsaharienne vivace, encore aujourd’hui.

Photographie d’Hara (Ethiopie). Crédit photo : Pascaline

De Tombouctou à Zanzibar

Des centres intellectuels pour l’enseignement de l’islam apparaissent comme à Tombouctou (Mali) et des cités musulmanes émergent comme à Harar (Ethiopie), souvent qualifiée de quatrième ville sainte de l’islam. Dans les ports d’Afrique de l’est, des intermariages sont conclus entre des musulmans étrangers qui s’intègrent à la société locale. Une culture Swhailie émerge alors dans cette région, caractérisée par la pratique de l’islam, le commerce et de développement de villes swahilies dont les plus grandes deviennent de véritables cités-Etats.

En Afrique de l’ouest, l’islam s’est développé par les routes sur lesquelles transitaient l’or et les esclaves. Les marchands puis certains rois du Sahel adoptent officiellement la religion, donnant naissance aux premiers pouvoirs musulmans dans la région. L’histoire du sauvetage clandestin des manuscrits de Tombouctou, patrimoine culturel témoignant de l’effervescence sous le royaume Songhaï (15-16ème siècle) émeut les visiteurs qui peuvent découvrir quelques pièces historiques. En 2012, il aura fallut déployer un élan d’ingéniosité pour faire sortir les précieuses reliques dans un Mali sous occupation jihadiste. Mais la religion ne doit pas être assimilée à ces pratiques extrémistes et marginales, c’est le message distillé tout au long de l’exposition et illustré par des pièces d’époque, qui témoignent de l’histoire et des pièces plus récentes.

Bannières calligraphiées de Rachid Koraïchi. Crédit photo : Pascaline

Confréries et pratiques

L’islam est divisé en différents courants, parmi lesquels le soufisme trône en bonne place en Afrique subsaharienne. Cœur spirituel de la tradition islamique, le soufisme est structuré en confréries (tarîqas) qui diffusent les enseignements d’un maitre (cheikh). Il existe autant de confréries sur le continent (Shâdhiliyya, Qâdiriyya, Tijâniyya, Mouridiya…) que de pratiques religieuses.

Du dikhr (récitation des noms de Dieu) en passant par le pèlerinage sur les lieux des tombeaux des saints (Fès-Maroc- pour les Tijanes et Touba- Sénégal- pour les mourides) ou encore la récitation du chapelet, les gestes du sacré prennent de multiples formes. Ils sont tout autant d’indices sur la multitude de facettes que revêt l’islam en Afrique. Mais dans l’océan indien comme en Afrique de l’Ouest, les confréries se posent comme des garants des valeurs traditionnelles et s’opposent à la présence européenne durant la période coloniale. Souvent présentes sur tout le continent, elles participent aux échanges diplomatiques avec le monde arabo-musulman. L’emprunte de ces relations se retrouve également dans des productions matérielles issues de siècles de métissage culturel et artistique.

Khanga : tissus Swahilis avec des proverbes. Crédit photo : Pascaline

Diversité des arts islamiques

Que ce soit par l’architecture, la calligraphie, la broderie, la joaillerie ou toute autre sorte d’artisanat, des spécificités propres aux régions africaines islamisées émergent, mêlant inspirations du monde arabe et traditions locales. Des alphabets nouveaux combinant diverses écritures, des « gris-gris » en cuir renfermant des textes sacrés, des fleurs de lotus des bijoux swahilies inspirées de l’art islamique et indien, ainsi que des œuvres plus contemporaines tels que les photographies (portraits) d’Omar Victor Diop et les bannières calligraphiées de Rachide Koraïchi…

Les exemples de ces influences mutuelles des arts et cultures d’islam sont multiples et déclinés tout au long de l’exposition, pour le plus grand bonheur du visiteur à la fois dépaysé et émerveillé par la palette de couleurs chatoyantes qui s’offre à lui. Puissent-ils venir témoigner de la beauté d’une Afrique plurielle et magnifier les cultures d’islam du monde entier, dans les yeux du plus grand nombre.


Exposition : l’Afrique des routes

L’Afrique… Vaste sujet pour un terme englobant qui recouvre de multiples réalités. Sujet à bien des controverses, le continent africain intrigue autant qu’il fait parler. Mais connaissez-vous vraiment l’Afrique ? Vous qui pensez à la misère et à la guerre à chaque fois que l’on prononce ce mot… Certainement mal, moi aussi d’ailleurs. Car l’histoire que nous avons apprise était biaisée, floutée, incomplète sur ce continent au milles visages. Pour remédier à cela, dimanche dernier je suis allée visiter l’exposition « L’Afrique des routes » au musée du Quai Branly et je vous livre ici mes impressions.

L’Afrique, berceau de l’humanité

L’exposition commence sur un constat : l’être humain vient de l’Afrique, le continent qui a la plus vieille histoire du monde. Les preuves se trouvent là, sous nos yeux, dans la salle d’exposition. L’Afrique, berceau de l’humanité n’est donc pas un mythe…

« A partir de 300 objets et 5000 ans d’histoire de ce contient, l’exposition montre toute sorte de routes : fluviales, commerciales, humaines, esthétiques, religieuses, coloniales, intellectuelles… » (Source : RFI)

Commerçants, missionnaires et scientifiques ont sillonnés le contient et entraîné des brassages culturels très anciens, alors que les relations avec les autres continents (Asie, Europe…) existaient déjà. Un autre préjugé tombe ici, celui selon lequel l’Afrique serait un continent isolé, laissé pendant longtemps en marge d’un monde qui avançait. En fait, je comprends que de nombreuses découvertes et inventions ont eu lieu en Afrique, avant même qu’elles n’émergent en Europe où ailleurs.

J’apprends aussi que de nombreux royaumes ont marqués l’histoire de l’Afrique et du monde, par leur grandeur et leurs peuples : le royaume Mossi au Burkina-Faso, le royaume du Bénin au Nigeria actuel, le royaume de Ségou au Mali, le royaume du Dahomey au Bénin actuel…​

Les routes des empires. Extrait de l’exposition, Quai Branly

Grands leaders africains

Je découvre des personnages emblématiques du continent, auxquels de nombreux artistes ont rendu hommage, de grands rois et reines tels que La reine de Saba, dont je vous ai déjà parlé : de son histoire d’amour avec le roi Salomon naquit Menelik 1er, premier d’une dynastie de grands rois juifs en Ethiopie. Bien plus tard, en 1325 il y eu l’empereur malien Kankan Moussa qui parti en pèlerinage à la Mecque, accompagné de milliers d’hommes. Il y dépensa des quantités d’or incroyable et resta dans les mémoires des chroniques arabes. L’empire du Mali était à son apogée. Il est considéré comme l’un des hommes les plus riches de tous les temps et sa déchéance reste encore aujourd’hui mystérieuse.

Au moment des luttes pour les indépendances, ils furent nombreux à se battre contre l’envahisseur. De 1816 à 1828, le règne de Chaka Zulu en Afrique du Sud, fondateur du royaume des Zoulous a marqué les esprits par sa lutte contre l’avancée coloniale et l’unification de la région, constituant un sentiment nationaliste dépassant les clivages ethniques (Source : Universalis).

En 1957 Kwame Nkrumah, après une victoire écrasante aux élections législatives au Ghana (Gold coast) força les britanniques à concéder l’indépendance du pays qui changea de nom à ce moment là. Son discours panafricaniste a inspiré de nombreux autres leaders africains.

Souvenirs africains

Petit à petit au fil de la visite, je fais le rapprochement avec les lieux que j’ai visité sur le continent. Ici on me parle de la Nubie en Haute-Egypte, dont la construction du barrage d’Assouan par Nacer inonda une partie des témoignages de cette culture. Je me rappelle d’une visite au musée de la Nubie dont le délabrement témoignait de l’abandon de cet héritage par le gouvernement égyptien. Un peu plus loin, je lis l’histoire de ces familles métisses de la bourgeoisie saint-louisienne et je pense immédiatement aux Signares et à leurs maisons à haut balcons. J’apprends aussi que le général Fadherbe, qui donnera son nom au célèbre pont de Saint-Louis créa, en 1857, le corps  des tirailleurs sénégalais. Ils mèneront de nombreux combats pour la France, souvent en premières lignes, au nom de la colonisation. Pourtant la reconnaissance et le devoir de mémoire tarderont à venir pour ces combattants dans une injustice de l’Histoire que l’on a tenté de « blanchir ». Plus j’avance dans l’exposition, plus je ressens mes lacunes sur une Histoire dont j’ignore presque tout où plutôt dont je n’aurais eu qu’une seule version.

La période sombre de l’esclavage me ramène à la maison des esclaves de l’Île de Gorée, et au discours parfois controversé de son conservateur du patrimoine, Joseph Ndiaye, qui explique aux visiteurs le commerce triangulaire avec une émotion teintée de théâtralité.

L’évocation de la guerre du Biafra au Nigéria dans les années 1960 me renvoie au magnifique livre de Chimamanda Ngozi Adichie, « L’autre moitié du soleil ». La rébellion Ibo du Sud Est du pays fut réprimée dans le sang après avoir déclaré l’indépendance de la République du Biafra. Alors que la France soutenait discrètement les rebelles, le Royaume-Unis, l’Union soviétique et les Etats-Unis ont soutenu le gouvernement Nigérian. Le conflit fut plus d’un million de morts et marqua les esprits occidentaux et amorça un tournant dans l’action humanitaire avec l’avènement des « French Doctors ».

Il est impossible de faire le tour de tous les sujets abordés dans l’exposition qui apparaît plutôt comme un point de départ pour comprendre l’histoire de l’Afrique et de ses routes, pour questionner, approfondir, discuter. Plus de trois heures de visites et ce sont des univers tout entier qui s’ouvrent à moi, me donnant envie d’en savoir plus sur l’histoire de ce contient et de voyager… encore et encore.

A la fin de la visite, la question des vagues de migrants venus notamment d’Afrique jusqu’en Europe parfois au péril de leurs vies est évoquée. De nouvelles routes se sont formées, creusées par les inégalités, les guerres et les blessures d’un continent trop souvent malmené. En espérant que cette exposition contribue à forger un nouveau regard sur ces histoires de vie et sur l’héritage culturel d’une Afrique millénaire.

Crédit photo: Pascaline. Quai Branly

 

 


La bataille de Karbala : le culte du martyr par les chiites

Mon histoire commence à Dakar, dans une petite rue du quartier du Plateau (centre ville), au cœur de la communauté libanaise de la ville. Elle nous mènera ensuite jusque dans une petite ville du désert irakien, à Karbala. C’est dans cette ville qu’a eu lieu une bataille historique, le 10 octobre 680, qui est au cœur du déchirement de l’Islam entre chiites et sunnites (courants de l’Islam). C’est aussi l’origine d’une grande fête : Achoura, célébrée chaque année en Irak mais aussi au Sénégal et dans le monde entier. Cette bataille m’a été racontée par une dame libano-sénégalaise chiite, rencontrée par les hasards de la vie.

Tout avait commencé lors d’une discussion à propos du nouveau président libanais, Michel Aoun, et du système électoral du pays qui réserve les principaux postes de l’État aux trois plus importantes communautés religieuses (chrétiens maronites, musulmans chiites et musulmans sunnites). Puis la discussion avec Fatima avait glissée vers les chiites du Sénégal dont cette sénégalo-libanaise d’une cinquantaine d’années  faisait partie. « Il y a beaucoup de chiites au Sénégal », m’affirmait-elle, « dans notre groupe de prière, il y a même un jeune homme sénégalais qui nous a raconté la bataille de Karbala avec beaucoup d’émotion ! »

Quelle était donc cette bataille si importante pour la communauté chiite ? 

La mosquée de l’Imam Hussein à Karbala. Crédit : Wikimedia commons

J’allais bientôt en savoir plus… Fatima me raconte que cette bataille est un moment très important pour la mémoire collective de sa communauté. Elle me dit que chaque année en Irak, des centaines de milliers de personnes affluent vers la petite ville de Karbala pour commémorer le décès de l’Imam Hussein, petit fils du prophète Mahomet, né de l’union de sa fille Fatima et de son cousin Ali. Ils ont eu deux fils ensemble : Hassan (né en 625) et Hussein (né en 626). Mon interlocutrice ajoute, pleine d’admiration, que durant le pèlerinage, les habitants ouvrent leur maison aux pèlerins et leurs offrent les meilleurs mets à manger et parfois même de quoi dormir.

J’apprendrai plus tard que la bataille de Karbala a eu lieu environ 50 ans après la naissance de l’Islam et qu’elle marque un tournant dans l’histoire de cette religion car elle signe l’apogée de la division entre chiites et sunnites. Elle symbolise le culte du martyr par les chiites. Mais pour mieux comprendre son importance, il faut revenir aux premières années de l’Islam

Après la mort du prophète Mahomet, des divisions quant-à sa succession à la tête de la communauté ne tardent pas à arriver.

Les trois premiers califes de l’islam (632-656) sont Abu Bakr (qui réprime le retour à l’apostasie, c’est à dire tout abandon volontaire de la religion), Omar et Othman (qui consolident l’Etat et conquièrent l’Iran, l’Afrique du Nord et l’Asie centrale jusqu’aux confins de l’Inde). Les deux derniers finiront dans le sang.

Carte de l’Irak. Crédit : Wikimedia commons

En 656, Ali (le cousin du prophète Mahomet) succédera à Othman, après l’assassinat de ce dernier. Mais la division de la communauté est déjà ancrée et irréversible. La dynastie des Omeyyades règne à Damas et s’oppose à la descendance d’Ali, qui sera finalement assassiné en 661. Ses fils, Hassan puis Hussein, lui succèderont. Il est impossible de comprendre le schisme originel de l’islam sans s’arrêter sur la mise à l’écart d’Ali qui, aujourd’hui encore pour les chiites, constitue le coup d’Etat initial, la faute première, le début de la décadence de l’islam majoritaire. (Source : Le monde, La bataille de Karbala : le baptême de sang des chiites, Henri Tincq, 30 juillet 2007.)

En octobre 680, l’armée des Omeyyades et son calife, surnommé Yazid l’imposteur, coupe l’accès des populations à l’eau de l’Euphrate et la route de Koufa, au sud de Bagdad. Le combat qui attend Hussein et ses proches est inégal car les notables de Koufa se sont désolidarisé les un après les autres. Hussein et ses proches sont décapités et leurs cadavres sont souillés.

« La vie des femmes est épargnée, mais Zainab, demi-soeur d’Hussein, est transférée de force à Damas où elle vivra jusqu’à sa mort en résidence surveillée. Quant à son épouse, princesse iranienne selon la légende, elle aurait été tuée en fuyant ou réfugiée en Iran. Les dépouilles des « martyrs » sont ensevelies à Karbala où, chaque année, le jour de l’Ashura, les chiites défilent encore en pèlerinage. » Source : Le monde, La bataille de Karbala : le baptême de sang des chiites, Henri Tincq, 30 juillet 2007.

Lorsque Fatima me raconte comment Hussein, le petit fils du prophète s’est fait assassiner à Karbala, elle en a des frissons. Elle m’explique le massacre subi par Hussein et ses proches dans cette bataille qui ressemble à un piège. Les soutiens du petit fils du prophète le lâchent un à un et l’armée des Omeyyades est désespérément plus équipée et plus forte. Les derniers descendants du prophète sont torturés, décapités par des mains de musulmans. Leurs corps sont piétinés par les sabots des chevaux et des chameaux. Les soldats s’acharnent sur le cadavre d’Hussein dans une ultime humiliation teintée de cruauté. On raconte même que le gouverneur de Koufa, Ubayd Allah Zyad, cure les dents du cadavre d’Hussein.

Je comprends que cette histoire a un symbolisme important pour mon hôte. Elle me dit avec une émotion teintée de révolte que si l’on est musulman, on ne peut pas renier la descendance de son prophète et elle ne comprend pas que l’on puisse lui faire du mal.

Au moment où elle prononce ces mots, je comprends toute la problématique qui déchire le monde musulman encore aujourd’hui, de l’Irak à la Syrie, en passant par le Liban et la Palestine, plus de 1300 ans après la bataille de Karbala. Je comprends la complexité qui se situe au cœur des croyances, là où l’intime et le sacré dépassent tout raisonnement politique, économique, social ou encore tout sentiment nationaliste. Mais au même moment, j’ai la conviction que si l’on veut comprendre ce qui se joue au Moyen-Orient aujourd’hui, il nous est indispensable de nous pencher sur un pan de l’histoire dont nous sommes (presque) totalement ignorants. Les liens avec l’histoire récente sont souvent démontrés, bien qu’au fond ils restent ignorés. Si nous nous intéressions un peu plus à cette région du monde (pas si lointaine), nous aurions certainement un regard nouveau sur les événements qui se passent ici et là bas…

Pour en savoir plus :
Conférence Orient XXI/Le Monde des Religions : « Chiisme, autorité politique et pouvoir » le 23 février 2017 à l’Auditorium du journal Le Monde (80, boulevard Auguste Blanqui, 75013 Paris).


Comment séduire une femme en 10 leçons… de Dakar à Paris ? #MondoChallenge

J’aurais aimé ne jamais avoir à rédiger cet article. J’aurais aimé que tout ce qui va suivre tombe sous le sens pour ces messieurs. Seulement voilà, nous sommes au 21ème siècle, à l’heure où la pornographie a envahi petits et grands écrans, et la poésie n’a plus trop sa place dans les relations femmes-hommes. Pourtant, de Dakar à Paris, en passant par les régions de France du Sénégal et d’ailleurs, les femmes aiment qu’on les séduise et certains principes sont universels. D’autres sont intimement liés aux cultures et traditions des pays. Messieurs, à vous de jouer…

Leçon numéro 1 : soyez original

Traditional gujarati couple. Crédit image : arsalankhanartist

Évitez, s’il vous plait, les phrases toutes faites trouvées sur internet du type « Le bleu de tes yeux a envahi mon cœur », en particulier dans les régions du monde ou quasiment aucune femme n’a les yeux bleus, sauf en portant des lentilles colorées ! Les « psssst pssst », « la joliiiie », « la mignonne », « mademoiselle » n’ont également pas leur place dans ce guide des bonnes pratiques tant ils sont humiliants pour les deux protagonistes de l’histoire. Pourtant, selon le pays, ces techniques sont plus ou moins appréciées. Au Sénégal, certains hommes affirment que les jeunes filles adorent être interpellées dans la rue, complimentées, remarquées. Pourtant, jusqu’à ce jour, je n’ai encore jamais rencontré de couple qui s’était formé de cette manière, ni ici, ni ailleurs. Je vous mets au défi d’en trouver un ! Certain privilégieront l’approche amical, joueront les confidents pour mieux séduire la dame ! C’est à double tranchant : soit ça passe, soit ça casse et vous serez à jamais relégué au rang d’ami fidèle.

Leçon numéro 2 : ne soyez pas avare

Si une fille vous plaît, rien de tel pour la faire fuir que de compter vos Euros, vos CFA ou autres Dalasi (monnaie gambienne) devant elle ou dans son dos. Oubliez donc les rencarts au McDo (ou à la Brioche dorée, à peu près son équivalent à Dakar) voir pire, les rencarts au McDo où chacun paie sa part. Il ne s’agit pas de matérialisme mais un minimum d’investissement de votre part lui prouvera que vous ne « visez pas tout ce qui bouge » et que c’est elle que vous voulez séduire. Dans de nombreux pays, c’est l’homme qui invite la femme et qui paie sa part, inutile d’évoquer l’égalité femmes-hommes pour y déroger et faire quelques économies, la galanterie fait toujours recette auprès des femmes et si vous jouez les pingres, c’est d’une femme que vous allez faire l’économie ! Pire encore est de jouer sur la différence culturelle en expliquant à votre belle que dans votre pays, les femmes paient leur part. Un jour prochain viendra où elle apprendra la vérité, et vous perdrez toute votre dignité !

Leçon numéro 3 : abandonnez les clichés à la première approche

Traditional polish couple. Crédit image : arsalankhanartist

Parfois, il est difficile d’engager la discussion avec une inconnue. Ce n’est pas une raison pour dire n’importe quoi ! Lorsque vous renvoyez à la femme qui vous plait son signe distinctif le plus évident à vos yeux (son origine, sa couleur de peau, ses lunettes, sa petite taille…), cela peut-être très désagréable pour elle, et ne contribue en rien, à lui signifier qu’elle est exceptionnelle à vos yeux ! Certains ont l’habitude d’utiliser la plaisanterie pour signifier à une femme qu’ils s’intéressent à elle : évitez. Vous deviendrez vite lourds et perdrez toutes vos chances ! Si elle est en couple et que vous dénigrez son amoureux, là aussi, peu de chance que vous puissiez conquérir son cœur. Tournez-vous plutôt vers une femme dont le cœur est libre, vous gagnerez du temps.

Leçon numéro 4 : soyez naturel et simple

Vous avez certainement de belles qualités, ce n’est donc pas la peine d’en faire des tonnes. Si la femme que vous convoitez est aussi formidable que vous le pensez, elle le remarquera certainement. Inutile d’étaler votre travail, votre nouvelle voiture ou tout votre CV professionnel ou amoureux. Vous y gagnerez en respect et en crédibilité. Et vous éviterez par la même occasion de vous faire plumer par les plus téméraires… Attention, être naturel ne veut pas pour autant dire lui parler comme à vos potes ! Venez comme vous êtes, en sommes, mais avec élégance !

Leçon numéro 5 : soyez surprenant

Crédit image : arsalankhanartist

Rien de tel pour nous séduire qu’une bonne surprise. Que vous soyez en couple ou célibataire, cette règle vous concerne. En effet, la surprise n’est pas réservée aux débuts de relations ni au temps des premiers flirts, au contraire, une relation doit se nourrir par des attentions mutuelles. J’ai vu trop souvent des hommes mariés ou en couples prendre leur relation pour acquise, et vaquer à leurs occupations plutôt que de se préoccuper de Madame. Surprendre, c’est casser la routine, donner un peu de piment à la relation, qui sans cela, risque de s’essouffler très vite, passées les premières passions du début. On connait désormais les astuces et des femmes sénégalaises pour plaire à leurs maris : le bin-bin, ce petit collier de perles noué autour des reins, le thiouraye et ses odeurs envoûtantes, le bethio, ce petit pagne affriolant… Mais comment les hommes font-ils pour plaire à leurs femmes et les (re)conquérir ? Beaucoup de femmes d’aujourd’hui ont besoin que les efforts se fassent dans les deux sens, que Monsieur y mette du sien, les aide à la maison, avec les enfants, cela ne gâche en rien sa virilité, bien au contraire. Une amie ibadu (surnom donné aux filles voilées au Sénégal) me disait qu’elle cherchait un mari toubab, car d’après ce qu’elle avait vu à la TV, ils aidaient plus leurs femmes dans les tâches ménagères que les sénégalais. Je lui ai répondu que malheureusement, il restait encore beaucoup à faire dans les foyers, malgré les apparences… Les actions romantiques et les hommes aux petits soins sont souvent réservés aux films hollywoodiens…

Leçon numéro 6 : soyez romantique

On ne le dira jamais assez. A l’heure des sites de rencontres à la Tinder et des « sex friends », certains pensent que le romantisme est devenu ringard. Pourtant, il y a mille et une façons d’être romantique, selon les cultures et les traditions. Au Sénégal, le romantisme est lié à la tradition du mariage qui demeure dans la tête de chaque jeune fille. Les cadeaux, les « je t’aime », les invitations, la présentation à la famille et aux amis sont autant de signes d’engagements. En France, le romantisme est lié à la tradition cinématographique et artistique, dans des clichés un peu nostalgique dignes des films de Woody Allen que l’on aime tant. Le grand amour libre et rebelle qui transcende toutes les normes et qui passe au dessus de tout, c’est notre truc ! L’amour qui vous tombe dessus au coin de la rue lors d’une soirée pluvieuse où vous n’aviez même pas prévu de sortir, qui vous fait tourner la tête, on adore !

Leçon numéro 7 : soyez attentionné

Crédit image : cricistan.com

Ne comptez pas les efforts que vous faites pour Madame, mais abstenez-vous de lui en faire la remarque. Même si elle ne dit rien, elle apprécie, croyez-moi ! Les petites attentions sont parfois les plus mignonnes, parce qu’elles sont inattendues.

Leçon numéro 8 : faites lui des compliments

Une nouvelle coiffure, une jolie robe, un peu de maquillage… Les femmes adorent sentir que leurs coquetteries déployées pour vous plaire sont remarquées. Ne soyez pas hypocrite, mais lorsque vous aimez, vous la trouvez belle, même si c’est en pyjama ou après une journée fatigante, ne vous privez pas de lui dire !

Leçon numéro 9 : soyez sincère

A trop vouloir jouer le jeu de l’auto-promotion, exacerbé par l’effet « réseaux sociaux » et « selfies », certains hommes oublient que la sincérité est parfois leur meilleure arme de séduction. A longueur d’année, nous sommes sollicitées par des beaux-parleurs qui vendraient père et mère pour nous conquérir. C’est devenu comme un bourdonnement désagréable à nos oreilles et nous n’y prêtons plus grande attention. Prenez le contrepied de cette tendance et ayez le courage d’être authentique ! Vous aurez au minimum le mérite de rendre le jeu de séduction agréable et nous ne pourrons jamais vous en vouloir pour cela !

Leçon numéro 10 : prenez des initiatives

Sindhi couple. Crédit image : arsalankhanartist

Les hommes se laissent souvent porter par le vent et… par les femmes. Que ce soit pour les décisions importantes dans le couple ou pour un premier rendez-vous, faites preuve d’initiatives ! Sur ce point aussi il peu y avoir des différences selon la société où l’on vit : au Sénégal, traditionnellement dans un couple marié, c’est l’homme qui subvient aux besoins de la famille alors que la femme s’occupe du foyer. Ce modèle est en train d’évoluer avec des femmes qui travaillent de plus en plus et ne peuvent pas tout faire. Mais la question de l’indépendance financière change beaucoup de choses dans la relation et les prises de décisions. En effet, comment prendre des décisions importantes dans le couple si vous n’êtes pas indépendante ? Ici où ailleurs, les couples redéfinissent leurs fonctionnement avec les évolutions sociales. D’une femme forte qui « porte la culotte » à une femme dont le destin est inexorablement lié à la compréhension de son mari, des équilibres se cherchent. Le poids de la tradition, de la société, ou la perte de repères : chacun peine à trouver sa place et son rôle et c’est un véritable jeu de funambules qui caractérise les relations femmes-hommes d’aujourd’hui, en France, au Sénégal et ailleurs.

Et dans votre pays, comment ça se passe ? Racontez-moi…

 

 

 

 

 


Khadija, première épouse du prophète Mahomet

Après vous avoir présenté le personnage fascinant de la Reine de Saba, je poursuis mes lectures dans l’univers de Marek Halter. Je vais vous parler ici d’une femme dont le destin à changé la face du monde : Khadija bint Khuwaylid. Elle fut une riche marchande mecquoise, veuve qui épousa en seconde noce Muhammad Ibn Abdallah. Il était à l’époque appelé un « homme de rien », mais deviendra le dernier prophète de l’Islam…

Couverture du livre de Marek HalterKhadija était une riche marchande de la Mecque qui dirigeait d’une main de maître les affaires léguées par son défunt mari. Elle était respectée de tous, par le rang qu’il avait tenu dans la citée, mais aussi par la place qu’elle avait su gagner avec respect, dans une société où les hommes décidaient. Ainsi, eux seuls étaient autorisés à siéger à la mâla, communauté des riches marchands de la ville. Malgré son rang et le respect qu’elle inspirait, Khadija ne pouvait pas déroger à la règle, et lorsque le perfide Abu Sofyan lui proposa le mariage ou la guerre, elle dût se rendre à l’évidence qu’il avait raison sur un point : il lui fallait se remarier.

Mais ce qu’elle tût à tous, c’est qu’elle brûlait d’amour pour le jeune Muhammad, ce jeune caravanier qui travaillait pour elle, depuis le premier jour où elle l’avait vu. L’évidence se révéla à elle peu à peu, même si elle le chassait d’abord de ses pensées. Elle, la saïda Khadija pouvait-elle épouser cet « homme de rien », pauvre et illettré, qui était beaucoup plus jeune qu’elle ? Que diraient les riches clans de la Mecque ?

Elle fut finalement la première à croire en lui, et son amour pour lui le porta jusque dans les rangs des hommes les plus respectés de la Mecque. La sagesse de Muhammad fit le reste.

Un profond respect et une admiration mutuelle ponctuèrent leur amour, leur permettant d’affronter vents et marrées ensemble, dans un soutien l’un envers l’autre qui demeura sans faille jusqu’à son dernier souffle.

Dans ce récit historique Marek Halter dépeint le portrait d’une femme d’exception au caractère de feu qui apprit l’humilité auprès de son jeune époux, alors qu’elle lui apportait sa fougue et sa force.

Son histoire nous fait partager les rêves et les angoisses de Khadija tout en retraçant les événements importants de la Mecque et de la Ka’bâ, son sanctuaire. Toute cette histoire constitue les fondements de l’Islam et nous explique aussi le contexte dans lequel est née cette religion. Les croyances en divers idoles, les rivalités entres clans, l’esclavagisme, l’absence de parole publique pour les femmes étaient les réalités de cette époque qu’il nous est difficile d’imaginer aujourd’hui. Mais l’impuissance des hommes faces aux catastrophes telles que les épidémies, la sécheresse ou les inondations transformèrent peu à peu les habitants de la Mecque qui n’avaient pas fui et leurs croyances.

A travers les questionnements de Khadija, on comprend peu à peu son cheminement spirituel et celui de son époux, qui sont intimement liés. Comment croire en des dieux qui les ont abandonnés ? Quelles conséquences peuvent avoir la destruction de la statue d’une déesse en albâtre ? Comment interpréter les signes du destin ? Comment faire face à la perte d’un enfant ? Comment être une femme forte tout en respectant son époux devant les hommes de la citée ? Quelle est l’histoire des « peuples du Nord » qui croient au Dieu unique ? Quelle est l’histoire de la pierre noire et du pèlerinage à la Mecque ? Quelles sont les légendes racontées à ce sujet ? Comment Ibrahim a découvert la source Zamzam (que les pèlerins ramènent aujourd’hui à leur retour de la Mecque) ?

Étrangement, en refermant la dernière page de ce livre, j’ai eu la certitude que les tiraillements de Khadija me touchaient car ils ne m’étaient pas si étrangers. Elle essayait de rester forte dans les épreuves de la vie, mais n’était pas moins touchée par le doute et l’indignation face aux injustices, la peur de perdre les êtres aimés ou de les décevoir, le manque de ne pas les avoir à ses côtés, la volonté de rester digne tout autant que d’être juste, de plaire à son homme sans s’oublier, de protéger sa famille de l’adversité et des dangers, d’aider les autres tout en se préservant, de construire et consolider son empire sans devenir égoïste et sans finir seule… J’ai alors compris que cette femme au destin incroyable pouvait être un exemple pour nous toutes car il y a certaines réalités de femmes qui ne changent pas, quelque soit le lieu où l’époque…


Mais, elle était noire la reine de Saba !

Je voudrais vous parler d’une reine au destin incroyable, que l’on nomme souvent, sans presque rien savoir d’elle. La reine de Saba est un personnage mythique qui ne semble pourtant pas encore connu à la hauteur de sa grandeur…

J’ai un collègue que l’on appelle le « griot », car il a toujours les mots justes pour raconter des histoires et flatter les gens. Un matin, en bon séducteur, il voulait me complimenter et me comparer à la reine de Saba. J’étais justement en train de lire son histoire dans le livre de Marek Halter

A moi de répliquer : « mais elle était noire la reine de Saba »! Sa surprise me donna l’idée de raconter ce personnage…

Selon les traditions juive et musulmane, la reine du royaume de Saba, dans le sud-ouest de l’Arabie, aurait vécu vers le Xe siècle avant J.-C. (Encyclopaedia Univerrsalis)

La reine de Saba. Source :elishean.fr

Makeda, fille d’Akebo et de Bilqîs, fût reine de Saba, un royaume au sud de l’Arabie. C’était une reine à la beauté sans nul autre pareil. Elle perdit sa mère jeune et, avant la fin de son deuil, dut fuir, à cause de Shobwa, le traître de son père, dont elle se souviendra toujours du nom. Akebo le grand ne se remaria jamais, pour lui donner son trône. Il lui légua également son caractère et son esprit guerrier. Dans leur nouvelle ville, Axoum, de l’autre côté de la mer rouge, ils développèrent le commerce, notamment avec le pharaon égyptien.

Un jour, un émissaire envoya à la reine une lettre de salutation d’un certain Salomon, roi de Juda et d’Israël. Intriguée, elle chercha à en savoir plus sur cet homme réputé bon et sage, son peuple et leurs cultures, mais également leur langue, l’hébreu. Elle voulut se rendre en Israël, officiellement, pour favoriser les échanges commerciaux…

Dans le récit biblique de la vie du roi Salomon (I Rois, x, 1-13), la reine de Saba rend visite à celui-ci accompagnée d’une caravane transportant de l’or, des pierres précieuses et des aromates. Cet épisode atteste l’existence de relations commerciales importantes entre Israël et l’Arabie. (Encyclopaedia Univerrsalis)

Tout en lui l’attirait, sans qu’elle ne puisse se l’expliquer. Mais pour conquérir le cœur du roi Salomon, qui avait plus de 100 épouses, il fallait bien plus que la beauté… l’assurance de son regard, les pointes de son caractère et la vivacité de son esprit eurent raison de lui. L’érotisme de leurs joutes verbales accompagnait l’effusion de passions qui déferlait sur eux au moindre regard mutuel.

Toujours selon l’Ancien Testament, la reine avait l’intention d’éprouver la sagesse de Salomon en lui donnant un certain nombre d’énigmes à résoudre. (Encyclopaedia Univerrsalis)

Elle le mit à l’épreuve pour tester sa sagesse. Les réponses du roi, plutôt que de le détourner d’elle, conquirent son cœur et tout son être, qu’elle lui dévoua pendant trois nuits et deux jours.

La tradition musulmane connait la reine de Saba sous le nom de Bilqis. Dans la Sourate des fourmis (Coran, xxvii), elle n’est pas nommée et son histoire est embellie par les commentateurs musulmans. Les Arabes ont donné une généalogie à Bilqis qui place ses origines en Arabie méridionale. La reine est au cœur d’un cycle de légendes très répandu. Selon l’un de ces récits, Salomon, informé par l’une de ses huppes que Bilqis rend un culte au soleil, lui écrit pour lui demander d’adorer Dieu. La reine lui répond en envoyant des présents, mais, piquée par son indifférence, décide de se rendre elle-même à sa cour. Entre-temps, les démons du roi, craignant que celui-ci ne soit tenté d’épouser Bilqis, lui chuchotent à l’oreille qu’elle a les jambes velues et les sabots d’un âne. Intrigué, Salomon fait construire un carrelage en verre devant son trône. (Encyclopaedia Univerrsalis)

Le royaume de Saba par rapport aux frontières actuelles. Source : sharezamy.fr

Pour rendre cet amour éternel et pour fuir la lassitude du temps, elle repartit dans son royaume… Après tout, se dit-elle, Salomon avait tant d’épouses, qu’il arriverait bientôt un jour où il se détournerait d’elle également. Dans un dernier geste d’amour avant de prendre la route, elle embrassa son Dieu unique, Yavhé, le Dieu d’Israël.

Selon la tradition éthiopienne, Makéda eu un fils, Ménélik, le fruit de son amour avec Salomon et le premier d’une grande lignée de rois africains, qui formait la dynastie royale d’Éthiopie. Certains récits voient ici l’origine des falashas, juifs éthiopiens. Mais ici commence une autre histoire…