Les rêveries du promeneur pas vraiment solitaire

Article : Les rêveries du promeneur pas vraiment solitaire
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2 mars 2013

Les rêveries du promeneur pas vraiment solitaire

Crédit photo : Flikr
Crédit photo : Flikr

Stéphane Hessel n’est plus. Celui qui nous a tous invités, du Nord au Sud, de l’Est a l’Ouest, à nous indigner, a tiré sa révérence. La nouvelle est tombée mercredi matin, elle m’a rappelé sa pensée, dans un pays en constante indignation. Indignation des femmes pour leurs droits, indignation des citoyens pour la démocratie, indignation des Hommes contre le système en place. Il y a les grandes et les petites indignations. Celles qui relèvent des grandes questions de sociétés, et celles qui relèvent de notre quotidien. Souvent, les deux se rejoignent car elles sont intimement liées.

Ainsi, comme le disait Stéphane Hessel dans un de ses derniers interviews accordé à l’Agence Française pour le Développement,

“Nous sommes tous conjointement responsables de ce que la crise, dans laquelle nous vivons maintenant depuis 5 ans, ait affecté tout particulièrement les pays du Sud”.

Selon le Crédit Suisse, les 1 % les plus riches de la planète possèderaient 43,6 % de la richesse et les 10 % les plus riches en détiendraient 83 %.

1,3 milliard d’habitants vivent toujours sous le seuil d’extrême pauvreté, soit près du quart des habitants de la planète.

(Source : Observatoire des inégalités).

Je vis aujourd’hui dans un « pays du Sud », un de ceux que l’on appelait il n y a pas si longtemps “Pays Sous Développé » (Harry Truman, 1949), pour lui préférer ensuite le terme plus politiquement correct de “Pays En Développement”. Terme qui a justifié les politiques d’aides au développement, notamment du FMI et de la Banque Mondiale, basées sur l’établissement d’un modèle économique libéral, condition de l’octroi des-dites “aides”.

Je suis donc de l’autre côté du miroir et je dois assumer ma place en tant que Jeune, Femme, Européenne, et beaucoup d’autres adjectifs qui font parti de mon identité et sont mis à l’épreuve au quotidien, pour mieux me rappeler mes idéaux et me battre pour eux.

Je suis Jeune, et j’ai la chance d’avoir terminé des études passionnantes. Mais je m’indigne lorsque l’on me reproche d’être trop jeune, pas assez expérimentée ou trop qualifiée, pour obtenir les emplois que je convoite, ceux pour lesquels j’ai étudié dur, qui ne semblent pourtant pas envisageables pour moi avant mes trente ans! On dit que la crise de l’emploi et les délocalisations y sont pour quelques choses… Et qu’il faudrait “imposer des normes sociales et environnementales dans le commerce mondial” et “négocier un autre partage du temps de travail”.

Je suis Femme, je viens d’un pays où je suis libre de porter des minijupes et des talons hauts sans que cela ne soit répréhensible. Même si cette définition de la liberté me parait de plus en plus discutable, je m’indigne donc lorsque l’on me conseille de me couvrir les jambes qui, pour moi ne sont pas synonymes d’objets de désir ostentatoire. Mais je m’indigne aussi lorsque les hommes dans la rue me sifflent, me suivent ou me dévisagent, parce que je suis femme. Comme disait Simone de Beauvoir, « on ne naît pas femme, on le devient ». On en prend conscience quand cette féminité est mise à l’épreuve. La féminité est un construit social : ici on est femme, fragile, mère, reine, chez nous on est femme, indépendante, forte, sexy… les normes sociales de cette féminités sont différents d’un lieu à un autre.

Je suis Européenne, et je n’ai donc pas besoin du précieux visa Schengen pour circuler en Europe, je n’ai pas non plus de grandes difficultés à voyager en Egypte par exemple, alors que beaucoup de mes amis égyptiens ne verront peut-être jamais mon pays. La question de la libre circulation des personnes et de l’ouverture des frontières fait débat, et le rêve d’une citoyenneté mondiale pour lequel Stéphane Hessel se battait n’est pas encore réalisable.

Je suis Gourmande, et j’aime découvrir la gastronomie de mon pays hôte, déguster les merveilleux basboussa et molokheya dont peu ont le secret mais je m’indigne lorsque je vois les rayons des supermarchés inondés de produits fabriqués par des multinationales qui entretiennent un système d’exploitation et d’appauvrissement des pays du Sud. On parle de souveraineté alimentaire ou de «droit qu’ont les peuples à définir leurs propres politiques agricoles et alimentaires sans dumping vers les autres pays”, Via Campesina, Rome, 1996.

Je suis Curieuse de la vie et des gens, j’aime connaitre ceux qui m’entourent et leurs petites contrariétés. Mais je m’indigne contre un monde Big brother où chacun est fiché, suivi, surveillé, dans la rue ou sur internet, au supermarché ou au restaurant grâce à sa carte bleue, sa puce de téléphone, son compte Facebook, les caméras de surveillance…

Je suis Engagée, et je m’indigne donc des anecdotes que j’entends jusqu’ici, sur les “territoires palestiniens occupés” voisins de l’Egypte, racontées par de ceux qui les ont visités. Checks points, blocus de Gaza, mur de séparation et routes interdites, tout ce qui fait le lot quotidien de milliers de palestiniens est parvenu ici jusqu’à mes oreilles, alors que la situation est souvent mal connue en France. Stéphane Hessel était d’origines juive, rescapé des camps, il avait d’abord cru à la création de l’Etat d’Israël après la seconde Guerre Mondiale, avant de visiter ce pays sans Etat et de commencer à lutter contre l’occupation israélienne.

Voilà quelques unes de mes révoltes intérieures, inspirées par ce Grand Homme, et je suis fière de dire qu’il fut entre autres chose ambassadeur de France, ambassadeur des Nations Unis, et fervent défenseur des droits humains. Et vous pourquoi êtes-vous indignés?

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Commentaires

serge
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un travailleur très jeune est rarement pris au sérieux, une question de mentalité surtout en Afrique. Mais par votre indignation, on peut dire que c'est un peu la même chose partout. Moi-même j'en été victime à 21 ans, tout juste sorti de l'école de journalisme.
En même temps le terme "pays du syd" est aussi réducteur que l'autre, :)
très beau texte
Indignons-nous !

Evelyne
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Pascaline,
Tu as raison d'être indignée, vous les jeunes travailleurs ou futurs travailleurs n'êtes pas compris, trop jeune, trop diplômé, pas assez diplômé, vous rentrez rarement dans le "moule". Continue à t'indigner.
J'ai découvert une Pascaline très à l'aise avec un stylo à la main, j'ai lu de beaux textes.
Tu as trouvé le moyen de t'exprimer et peut-être de te trouver par le biais de l'écriture.
Bravo.
Evelyne

pascaline
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Serge, votre réflexion est juste, elle m'a poussée à mettre des guillemets au terme de "pays du Sud" pour être un peu plus exacte. Termes réducteurs qui traduisent une réalité à travers les lunettes des économistes bien (trop) souvent du "Nord". Mais ceux qui nous gouvernent au Nord et au Sud, semblent se retrouver dans l'oubli de leur jeunesse. Ainsi, on a vu récemment en Egypte, cette jeunesse indignée en première ligne des manifestations.
Comme tu le dis Evelyne, on ne rentre pas dans le "moule", toujours "trop" ou "pas assez", mais toujours débout! Merci en tout cas :)

josianekouagheu
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Quand un jeune diplômé sort de l'école, il est vraiment rarement pris au sérieux. Cependant, je pense que le jeune doit s'imposer, même s'il rencontre des obstacles, que j'avoue, de la part de ses aînés.
"Pays du sud", honnêtement, ce terme est très réducteur. De plus, certains pays de notre continent ont des pourcentages de croissance plus importants par rapport à ceux du "nord"
L'indignation vaut la peine Pascaline

nathyk
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Bonjour Pascaline, je réitère mes félicitations pour tes beaux et significatifs textes. Je suis tout à fait d'accord avec toi sur les points que tu abordes. Je retrouve revenir sur l'expression "pays du Sud". Franchement, je ne le trouve pas aussi réducteur qu'il peut paraitre car je me dis tout est dans la lecture que nous y faisons. Si on pense "pays du Sud" par rapport a la situation géographique, je ne vois pas où est le problème, nous sommes bien du Sud, n'est-ce-pas ? Si quand on évoque "pays du Sud" et on pense cela veut dire automatiquement "pays pauvres" alors là il s'agirait d'un terme réducteur. Tout terme dépend de la valeur que les personnes lui attribuent. Moi personnellement, je ne trouve pas ce terme réducteur, préjugés mis a part.
Sinon je pense que dans un monde ou on observe en même temps les processus de désintégration et en parallèle des mouvements d'intégration, de cohésion,.., il y a beaucoup a s'indigner mais j'ai la ferme conviction que la voie du changement est définitivement ouverte et nous commençons déjà à l'emprunter par notre prise de conscience et notre désir de vivre dans un monde meilleur avec une égalité de chances pour tous. Bien à toi ! NathyK