Bon baisers de France

6 août 2013

Bon baisers de France

Auray, Bretagne, France. Crédit photo : Pascaline
Auray, Bretagne, France. Crédit photo : Pascaline

A l’heure ou le chassé croisé entre juillettistes et aoûtiens est la préoccupation essentielle de nos médias nationaux, je me suis demandées, justement ce qu’ils allaient chercher, tous ces touristes, dans notre beau pays, et surtout, ce qu’ils ne verraient jamais. Pour les novices, ceux qui partent en vacances en juillet sont appelés juillettistes, ceux qui partent en août, aoûtiens. Quant-à ceux qui ne partent pas, ils sont sans doute appelés pauvres et on ne parle pas d’eux à cette époque de l’année. Voici ma carte postale, un peu différente.

J’ai longtemps hésité avant de faire ce billet, et puis je suis tombée sur un article de notre madame Caraïbes de Mondoblog, sur le musée de l’histoire de l’immigration, à Paris. Dans les commentaires, Mylène posait la question suivante : « depuis quand ne peut-on pas critiquer le pays d’où l’on vient parce que l’on n’y habite pas ou plus, ou encore parce que l’autre veut nous dénier le droit de nous exprimer sur le sujet ? ». J’ai répondue à Mylène que cette critique était essentielle, parce que constructive, mais aussi très difficile lorsque l’on vit en France. Je pense qu’il est temps pour moi de m’essayer à cet exercice, en toute subjectivité.

 Car si l’on dit souvent que le choc culturel lorsque l’on voyage est aussi grand au retour qu’au départ, je dois vous avouer que je suis encore en plein choc culturel. Mais celui-ci est particulier car on parle ici de ma propre culture. Drôle de sensation que de se sentir comme un étranger dans son propre pays. Je ne pensais pas qu’un voyage de sept mois pouvait m’apporter autant de recul sur mon pays. Pourtant, j’ai rencontré il y a peu, une amie française ayant quitté la France plus longtemps, et nos constats étaient proches. Je me suis donc dit qu’ils méritaient peut-être d’être dit. Je vais donc essayer de retracer mon parcours pour vous en donner un aperçu.

Jour 1 ou l’impasse logistique

On remonte donc trois mois en arrière, à ma déscentes de l’avion en provenance de Dakar, lorsque je rentre en France, éloignée depuis sept mois. Je recherche dans l’aéroport, une carte SIM pour mon téléphone Wiko flambant neuf (merci Mondoblog). Je demande à tous les bureaux de tabac de l’aéroport, sans succès. Il n’y a pas de carte SIM dans l’aéroport le plus grand de France ! Alors qu’il y en à sur tous les trottoirs de Dakar, dans toutes les boutiques d’Alexandrie, mais ici, rien ! Je finirais, bien plus tard, pas dénicher une carte prépayée à côté de la gare de Lyon, dans un taxiphone dont le gérant m’expliquera que, soit il y a ces cartes prépayées, à 10 euros, soit les cartes classiques Orange (et autres) à 20 euros, mais qu’il faut activer la ligne en appelant un numéro. Enfin, pour les cartes avec abonnements, il faut les commander par internet, et trouver un autre moyen de communication en attendant qu’elles arrivent.

Je m’installe donc au Mc Do de l’aéroport, où l’on peut trouver trouver le wifi pour le prix d’un Coca, pour entrer en contact avec mes proches. Je remettrais mes idéaux altermondialistes à plus tard. Puis vient le temps de les rejoindre. Je prendrais d’abord le métro parisien, je passerais tant bien que mal, avec ma grosses valise, les portiques installés pour éviter les fraudeurs qui, parfois, empêchent aussi de passer ceux qui ont payés (ou les assomment malencontreusement). J’irais donc chercher mon tickets dans une machine, et me rappellerais avec nostalgie les comptoirs des bus dakarois, ou l’on paie directement son trajet à l’intérieur.

Enfin il y aura le train, où je me suis dit que ça ne pouvait pas être plus compliqué qu’en Egypte. J’avais en effet dû passer par le marché noir pour dégoter des billets Louxor-Le Caire et les payer presque deux fois le prix normal. Ici, pour acheter un ticket, le plus simple est aussi de passer par une machine, ou par internet pour acheter son billet avec sa carte bancaire. Encore faut-il que celle-ci n’ai pas disparu dans une sombre histoire de sac volé… Sinon on fait la queue au guichet, et on attend que le panneau lumineux nous indique que c’est à notre tour. Mais si l’on veut bénéficier du meilleur tarif, on doit acheter une carte de réduction, si on y à droit, ou bénéficier de tarifs préférentiels en payant nos billets par internet. Autant vous dire que si l’on n’a pas accès à internet, on est sacrément embêté. Où bon pour aller à Mc do avec notre Wiko…

Paris, France. Crédit photo : Pascaline
Paris, France. Crédit photo : Pascaline

Mois 1 ou l’impasse administrative

Il y a aussi eu le parcours administratif que j’ai traversée. Il y a eu d’abord la cacophonie des assurances, car en France, si l’on n’est pas assuré, on doit sentir une épée de Damoclès au dessus de notre tête : assurance sociale, assurance responsabilité civile pour les plus indispensables qui nous prémuniront des sommes à payer en cas de maladie, ou de dommages causés à autrui. Comme si je pouvais faire du mal à une mouche… Mais on doit avoir une assurance maladie (obligatoire) et une mutuelle (facultative) pour payer les sommes liées à notre santé que la première ne remboursera pas. Cependant, on ne peut pas prétendre à cette mutuelle, si la première assurance n’est pas en règle. Si l’on est sans logement et sans voiture, cela nous épargne au moins l’assurance voiture et l’assurance habitation.

Comment alors faire comprendre à mes interlocuteurs que je n’ai pas vraiment d’adresse fixe, car pas de travail mais qu’il me faut quand même une couverture sociale car justement je ne suis pas riche et donc pas en mesure de payer les frais d’hôpital en cas de problème. Peu importe, ceux qui sont déjà venues en France où qui y vivent doivent le savoir, la procédure est la procédure, et on peut difficilement y déroger, même à Marseille, ville réputée pour son système D et son économie parallèle. On prend son ticket, on attends pendant des heures. Les vigiles à la sortie, veillent à ce que personne ne s’énervent, ne « pète un câble » dans ce labyrinthe administratif où la situation de certains est parfois bien plus grave que la mienne. Triste rendez-vous citoyen. Au guichet, on me demande de prendre un autre ticket pour une autre file d’attente, et j’attends encore… pour finalement voir quelqu’un m’expliquer que je dois envoyer un dossier complet par la poste, et qu’ensuite, il sera traité, dans un délais d’environ un mois.

Il y a aussi l’inscription au chômage, qui doit se faire par téléphone. Donc si vous vous présentez en personne, pour savoir comment procéder, la personne au guichet de Pôle emploi, vous indiquera le téléphone au fond de la salle pour « prendre votre premier rendez-vous », ce qui signifie tout simplement que vous devrez repasser plus tard, lorsque vous aurez reçu la convocation à l’entretien-pris-par-téléphone. Vous me suivez ?! Et si, par malheur, une fois inscrits,  vous repasser demander un conseil,vous vous entendrez dire que vous êtes trop qualifiée pour bénéficier d’un contrat aidé, et pas assez précaire pour avoir une aide à la recherche d’emploi. Pourtant, lorsque je cherche justement un emploi, on me dit souvent que je ne suis pas assez expérimentée, ou trop jeune… Je ne comprend donc plus trop ce que je suis de trop ou de pas assez… !?!

Trimestre 1 ou l’impasse économique

Autre caractéristique de mon cher pays et de ma ville si l’on n’a pas d’argent : les moultes attraits de la vieille France et de Marseille, ses visites de monuments, ses ballades en bateaux, ses sardines et sa bouillabaisse, s’avèrent hors de prix et réservés aux touristes aisés qui débarquent en ce moment sur le vieux port, à l’heure de la Capitale Européenne de la culture. Pour ceux, qui vivent hors du tableau idyllique dressé pour l’occasion, il ne reste plus beaucoup d’options pour remplir les journées, en ce mois d’août ou même les chômeurs doivent prendre des vacances, contrains et forcés : aller à la plage, car elle est encore gratuite, au parc ou chez des amis. Les jolis cafés et restaurants français, que l’on en retrouve dans les films de Woody Allen, tellement charmants-et clichés- sont hors de portée. Les bancs publics, où l’on voit parfois l’héroïne s’asseoir un livre à la main, ont presque tous disparus. L’heure est à la marchandisation, et chaque espace de nos charmantes villes doit être rentabilisé par des activités génératrices de revenus. Et, si la misère est moins pénible au soleil, c’est quand même mieux si elle est le plus loin possible de nos yeux sensibles. Marseille à longtemps fait exception à la règle, populaire, inclassable, ingérable et insoumise, mais elle se fait rattraper doucement par la dure lois de l’investissement économique et nous avec.

Marseille, France. Crédit photo : Pascaline
Marseille, France. Crédit photo : Pascaline

Je me suis alors demandée, que diraient nos grand-parents, dans ce monde où je me sens déjà dépassée du haut de mes 25 ans…

Bon été au pays ou loin…

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Commentaires

Mylène
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Partir au loin, revenir et constater que ce qui nous apparaissait évident, spontané, routinier, voire logique, ne l'est pas tant que ça, ne l'est plus. Voilà aussi pourquoi j'apprécie les séjours longue durée à l'étranger, pour ce regard "neuf" et critique que l'on peut à nouveau porter sur son pays.
Je te remercie d'avoir partagé tout cela, car ce sont des réalités qui méritent d'être pointées du doigt. Une manière de procéder établie n'est pas pour autant la meilleure, mais il reste difficile de la changer...
Et pour finir, j'aime à dire que critiquer ne veut pas dire ne pas aimer l'objet des critiques (surtout lorsqu'il s'agit de son pays qu'il soit natal, d'adoption ou que sais-je), car sinon, on resterait tout simplement indifférent, à mon avis. Et je ne dis pas ça seulement parce que mon métier implique de poser un regard critique sur les choses. ;-)

bouba68
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la fin est un peu triste. ça alerte!

Serge
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Merci pour ce billet que je qualifie déjà d'universel, tu touches à tout ce qui décrit la modernité dans laquelle nous sommes précipités depuis Kant et Weber, la bureaucratie, le seft controle, l'ordre... tout ça ne sert qu'aux plus riches si l'on y regarde bien. C'est pourquoi je préfère ce moyen terme sud américain, ou dakarois je dirais... ni trop organisé, ni totalement désorganisé. Ici les gens vivent encore, mais pour avoir une carte SIM il faut appelé et donner son numéro social. Vraiment!
Mais le Rio des années 1960-1970 ne connaissait pas la violence d'aujourd'hui. Ton texte m'a fait pensé au livre d'Hemingway, The sun also rises... génération perdue.

pascaline
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Serge, je ne connais pas ce livre d'Hemingway mais ça me donne envie de le lire! Tu as raison, je me suis souvent demandée ce que je cherchais en voyageant, et je pense que dans la réponse il y a une partie de l'humanité que l'on a perdu ici dans cette organisation poussée à l'extrême; il y a aussi comme le dit Mylène, le regard "neuf" et quelque peu distancié que l'on peut avoir sur son pays, la prise de recul sur ce qui apparaissait comme "normal" alors que ça ne l'est pas du tout! C'est ici que l'on se rend compte que les jugements de valeurs que l'on peut porter sur les manières de faire de cet "autre" qui nous est inconnu n'ont aucun sens, car quelque part, à l'autre bout de la terre ce sont nos manières de faire qui apparaissent comme "a-normales".

julia
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Je ne veux pas dire que le système français est magnifique ni rien de tout ça... bien au contraire. mais il est aussi facile de le critiquer en se comparant à l'étranger. Oui beaucoup de choses paraissent plus facile, on nous demande moins notre adresse, on peut changer de numéro de téléphone comme de chemise mais cela ne veut pas dire que l'administration y est plus facile... Dans d'autres pays l'administration est aussi mal foutue, demande des papiers et des informations avec aussi peu d'intérêt, mais il y a des pays où je fais la queue pour une santé gratuite et d'autre où je fais la queue pour la payer (chère en plus) sans être sure qu'on voudra bien me soigner. Quand on part en voyage tout nous parait plus facile pas d'adresse, pas d'administration, pas de papier, mais quand on s'installe dans un pays à l'étranger au final c'est la même merde que chez nous... la problème c'est pas la france... c'est de vouloir avoir des papiers et accès à un minimum de droit... Ce n'est pas la richesse du pays qui détermine le contrôle, il y a des pays du sud qui ne se sont pas génés non plus pour investir dans le contrôle. La paperasse est une stratégie de filtrage... plus on te complique la tâche moins tu viendras à réclamer.

pascaline
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En effet Julia, la procédure administrative chaotique n'est pas réservée à notre pays, et c'est parfois bien pire dans d'autres, j'en suis consciente. C'est seulement plus facile de la dénoncer lorsque c'est justement notre pays, pour faire avancer la réflexion. Parce qu’on peut aussi mieux se le permettre... Votre réflexion sur le contrôle me rappelle une discussion sur la censure (de l'information, notamment critique envers le pouvoir en place) que j'ai eu récemment, et où je me suis rendue compte que ce "contrôle" était parfois investit dans un pays comme l'Egypte, alors que dans d'autres pays, les états n'en n'ont pas les moyens, mais on me disait que rien ne les en empêcherait de la mettre en place, lorsqu'ils auraient ces moyens là, sans nous prévenir.
Comme le dit aussi Mylène, lorsque l'on critique, c'est que l'on n'est pas indifférent ou neutre. Aussi, me suis-je sans doute un peu trop laissée emportée par l'émotion. Mais je ne le regrette pas, car vos commentaires sont enrichissants. Une amie me faisait ce commentaire, que j'ai trouvé intéressant de vous retranscrire :
"Quand même, il y a les bons plans liés à l'événement..le ciné en plein air gratuit (même si on achète une glace sur le chemin et des pâtisseries en arrivant), les visites de musées gratuites selon votre situation (même si les rémises et les chômeurs n'ont parfois pas les mêmes avantages), aller nager dans le vieux port, prendre les navette bateau pour la pointe rouge ou l'Estaque (gratuit avec abonnement), les mûres du parc Longchamps (saison presque finie)"