Semaine de la solidarité internationale : quand la jeunesse algérienne se dessine

Article : Semaine de la solidarité internationale : quand la jeunesse algérienne se dessine
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11 décembre 2013

Semaine de la solidarité internationale : quand la jeunesse algérienne se dessine

Vendredi 22 et samedi 23 novembre, à l’occasion de la Semaine de la solidarité internationale, la ville du Kremlin-Bicêtre organisait deux journées consacrées à la « Nouvelle jeunesse algérienne » à la médiathèque l’Echo. Je foulais pour la seconde fois le sol du Kremlin-Bicêtre et partais en « mission » à la rencontre de cette jeunesse afin de la percer à jour.

Crédit image : l'Andalou https://www.andaloussy.com/
Crédit image : l’Andalou https://www.andaloussy.com

De l’Algérie imaginaire…

Pousser les portes de la médiathèque, c’était un peu comme ouvrir un album de bande dessinée, partir à la rencontre d’une Algérie imaginaire. Une Algérie qui est présente dans nos esprits, mais que l’on connaît finalement si peu. Avant d’entrer, ma connaissance du pays se résumait à peu de choses : son aéroport international, que j’ai exploré dans les moindres détails lors d’une interminable escale en partance pour Dakar, sa compagnie aérienne qui m’a plongée un peu dans l’ambiance du « bled » dès l’arrivée au comptoir, où les vieux « chibanis » tentaient de se frayer un chemin dans la file d’attente approximative, et culinairement parlant, sa chorba et ses galettes Kesra du marché de Noailles à Marseille, la ville surnommée aussi « le petit Alger ». J’allais oublier l’écrivain Yasmina Khadra qui a récemment fait parler de lui pour sa candidature à la présidentielle prochaine et Idir, le chanteur kabyle qui collabore avec les chanteurs marseillais. J’en ai conscience, tout cela est un peu réducteur et très caricatural, mais après tout, rien de mieux qu’une caricature pour introduire un article sur les dessinateurs et artistes algériens en tous genres.

Il était donc grand temps pour moi d’aller rencontrer ceux qui font l’Algérie d’aujourd’hui pour m’en faire une idée plus précise. Et les rencontrer, c’était d’abord rencontrer leurs œuvres, pour s’inviter un peu dans leur monde, qui nous en dit un peu plus sur leur pays…

Crédit image : l'Andalou https://www.andaloussy.com/
Crédit image : l’Andalou https://www.andaloussy.com/

…Aux pays imaginaires

 Je me suis donc d’abord immiscée dans le monde d’Ifaz Matoub, réalisateur et producteur de films d’animation qui est aussi le directeur artistique du Festival international de la bande dessinée d’Alger (FIBDA). Il se définit lui même comme un autodidacte, qui dessinait à l’école pendant que les profs parlaient ! Ce qui lui a plutôt bien réussi. Pour lui, le plus important est que « ses courts métrages vivent et soient diffusés », qu’ils se confrontent au public. C’était donc ici une belle occasion, et pour voir si la confrontation était réussie, je suis allée interviewer la jeune Rania, 10 ans, qui était dans la salle avec un ami lors de la projection des trois courts métrages « Trésors d’une autre planète », « Zim et Zam » et « Soussou ». Rania a bien aimé les films, car « ils ne sont pas comme les dessins animés français, avec un seul personnage, ils changent, il y a des extra-terrestres, des humains, des animaux… »

Le monde d’Ifaz Matoub est donc composé de multiples espèces qui cohabitent, se découvrent et se confrontent. Il est aussi composé de langues multiples : arabe littéraire, dialecte algérien et kabyle sont autant de moyens de faire parler ses personnages. Mais que ce soit par les expressions des personnages, les sous-titres ou encore des notions d’arabe, le public aux origines diverses aura compris l’essentiel de l’histoire. Ainsi, comme Rania me l’explique, elle est « moitié algérienne, moitié marocaine » et parle donc arabe avec la famille de sa mère et comprend mieux que moi les joutes verbales des personnages. Ma3lesh ! C’est peut-être une occasion de nous montrer à tous, que le multilinguisme est un atout trop peu souvent valorisé en France.

Crédit image : Nawel Louerrad https://nawel-louerrad.blogspot.com/
Crédit image : Nawel Louerrad https://nawel-louerrad.blogspot.com/

Du monde des dessins animés qui ont pris une dimension supplémentaire depuis le temps (pas si lointain!) où je les regardais, je suis revenue dans la deuxième dimension avec la bande dessinée et le dessin de presse.

Jeunesse marquée, jeunesse douée

J’entrais alors dans les univers de Nawel Louerrad et de l’Andalou, deux jeunes dessinateurs et auteurs de BD qui sont venus nous parler « des cases et des bulles, quand l’Algérie se dessine ». Une jeunesse qui n’a pas sa langue dans sa poche, comme nous l’a expliqué Dalila Nadjmen, commissaire du FIBDA et éditrice (édition Dalimen), qui pense qu’il est « temps pour les jeunes qu’ils s’expriment ». Le FIBDA leur donne cette opportunité en les invitant à venir exercer leur art ou s’y initier. J’ai ainsi appris avec leurs dessins que la BD pouvait être une manière ludique de revisiter les manuels d’histoire poussiéreux et souvent incomplets.

Crédit image : Nawel Louerrad https://nawel-louerrad.blogspot.com/
Crédit image : Nawel Louerrad https://nawel-louerrad.blogspot.com/

J’ai remarqué un rapport à l’histoire (récente ou plus ancienne) présent dans les travaux de ces artistes, celle de l’indépendance, mais aussi celle de l’Andalousie berbéro-arabo-musulmane, à l’époque de la renaissance de l’Occident en 1492 à laquelle fait référence l’Andalou. Alors que cette histoire algérienne et l’histoire européenne sont inéluctablement liées, tant par l’immigration que par les conquêtes coloniales, je perçois ici encore l’intérêt de se pencher sur ce qui se passe de l’autre côté de la Méditerranée, ce qui se crée, ce qui se vit, ce qui se rêve aussi.

Car, ne vous y méprenez pas, les rêves des jeunes algériens ne se limitent pas à la France. Ainsi, l’Andalou base son art sur le côté burlesque des Algériens qu’il met en scène avec humour. Il veut montrer une autre Algérie, celle d’une jeunesse qui n’a pas vécu la guerre d’Algérie et qui est passée à autre chose, depuis cette guerre commune qu’il a dépeinte une fois pour toutes et à sa façon dans le « Burnous de David ». Une Algérie où les élites intellectuelles du pays parlent et s’intéressent plus au français qu’à l’arabe, mais aussi où l’anglais  est en passe de détrôner le français. Un signe des temps ?

Crédit image : l'Andalou https://www.andaloussy.com/
Crédit image : l’Andalou https://www.andaloussy.com/

L’année 2012 marquait le cinquantenaire de l’indépendance, et Nawel Louerrad nous explique qu’elle a engendré une « obsession identitaire » qui selon elle est un danger, alors que l’on peut vivre sans s’en inquiéter et dans d’autres bulles. A ces propos, je m’interroge, cet anniversaire a-t’il soulevé autant de questions dans mon pays ? Avons-nous profité de cette date pour nous interroger sur notre histoire, nos identités (fussent-elles meurtrières) ?

Crédit image : Nawel Louerrad https://nawel-louerrad.blogspot.com
Crédit image : Nawel Louerrad https://nawel-louerrad.blogspot.com

J’ai parlé plus haut de la richesse de la diversité linguistique, si en France, nous n’en avons pas encore pris conscience, nos invités en mesurent eux, toute la richesse dans leur pays. On le remarque dans les œuvres de ces jeunes artistes qui alternent aisément entre français, arabe littéraire et arabe dialectal en fonction du public qu’ils veulent toucher.

C’est dans ce souci d‘enrichissement culturel et linguistique que la médiathèque l’Echo à inauguré un fond de littérature jeunesse en langue arabe.

Crédit image : Nawel Louerrad https://nawel-louerrad.blogspot.com
Crédit image : Nawel Louerrad https://nawel-louerrad.blogspot.com

« Si celui dont j’étudie la langue ne respecte pas la mienne, parler sa langue cesse d’être un geste d’ouverture, il devient un acte d’allégeance et de soumission » Amin Maalouf, Les identités meurtrières, 1998.

L’histoire et l’héritage linguistique de cette jeunesse algérienne ont ainsi façonné son nouveau visage, et sa créativité. Mais les nouvelles technologies lui ont permis de l’exprimer, la rendre visible et/ou de la libérer.

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Crédit image : l’Andalou https://www.andaloussy.com/

Jeunesse connectée, jeunesse engagée

La table ronde sur « l’E-jeunesse un autre visage de l ‘Algérie » et l’enregistrement de l’émission l’Atelier des médias de RFI, m’a donné a voir une jeunesse algérienne connectée, qui utilise internet comme une porte ouverte. Une ouverture sur un monde où la censure est plus difficile, où le poids des traditions comme les regards se font moins pesants, où des espaces de débat sont ouverts, des espaces de mixité aussi. Pour le blogueur et activiste Abdou Bendjoudi, les nouveaux médias sociaux sont un moyen d’investir de nouvelles formes d’engagement politique, sur lesquels les politiciens n’auraient pas d’emprise. Selon lui, Facebook remplace en Algérie des espaces publics qui sont physiquement inaccessibles.

Crédit image : Nawel Louerrad https://nawel-louerrad.blogspot.com
Crédit image : Nawel Louerrad https://nawel-louerrad.blogspot.com

Internet créé des espaces de dialogues virtuels auxquels la jeunesse n’a pas accès autrement. Pour Yasmine Bouchène, entrepreneuse créatrice des sites Vinyculture et Jam-Mag, l’objectif est de faire sortir les gens de chez eux et de parler des événements culturels qui se passent à Alger, et des jeunes artistes algériens. Elle insiste sur le fait que la jeunesse algérienne est présente sur Internet mais pas seulement, ceci n’est qu’un support pour investir la rue, faire émerger des initiatives. Cette capacité à toucher les jeunes et à les impliquer dans des échanges qui vont au-delà de ce qui s’apparente à de la drague sur Internet, est soulignée par Adlène Meddi, le rédacteur en chef d’El Watan Week-end. Pourtant, selon lui, la presse écrite a encore une place importante dans la société algérienne, car moins instrumentalisée par la propagande étatique que la TV et la radio et moins soumise aux aléas de la connexion internet.

Lorsque l’on parle de réseaux sociaux et de leur usage politique, on ne peut toutefois éviter la comparaison avec les « printemps arabes » qui ont touché les pays « voisins » en 2011.

Crédit image : l'Andalou https://www.andaloussy.com/
Crédit image : l’Andalou https://www.andaloussy.com/

Adlène Meddi se prête au jeu pour la millième fois, comme il me le dit avec le sourire. Car il trouve que la question de cette non-révolution est normale, puisque des émeutes avaient éclaté avant février 2011 et qu’il y a eu un certain nombre de  personnes qui se sont immolées par le feu. Pour lui, la réponse se trouve dans l’identification de « l’ennemi à abattre » qui est très difficile en Algérie. Il m’explique que la corruption rend les contours du tableau flous, entre pouvoir et société civile, puisqu’une partie de celle-ci a été « achetée » par le pouvoir. Par ailleurs le contexte historique qui a instauré la lutte antiterroriste a donné des moyens importants à l’armée et aux services secrets, alors que le régime révolutionnaire est aussi très difficile à contester.

Après ce tour d’horizon, j’ai donc perçu une Algérie d’aujourd’hui pas totalement détachée de l’Algérie d’hier, et les remous de son histoire récente se font encore sentir dans le discours et les actions d’une jeunesse qui n’aspire qu’à s’exprimer, par tous les moyens possibles. Une jeunesse qui use et abuse de sa créativité pour « créer de l’empathie avec un personnage ou une situation pour faire comprendre des choses ». Une jeunesse aussi consciente de la censure et des grands tabous religieux et qui a appris à jouer avec.

La jeunesse algérienne que j’ai rencontrée m’a donné à voir un autre visage de l’Algérie que cette caricature que je vous ai d’abord dépeinte. Une vision faite de gros traits sans aucun doute, mais qui m’a surtout donné envie d’aller creuser plus loin, de l’autre côté de cette Méditerranée mère de bien des maux, pour venir les affiner.

Dans le prochain article, je vous inviterai donc à la traverser…

 

 

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Commentaires

Serge
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Article trÈs riche Pasca... par où commencer?
Bon, je vais commencer une recherche sur les nouveaux médias en Afrique francophone, et de premier abord, je ne crois pas que cet espace public créé par Facebook et autres remplacent la sphère publique traditionnelle comme ils le supposent, je pense que qu'il prépare les citoyen à pénétrer un espace qui existait déjà mais d'où ils étaient exclu.
J'ai entendu dire qu'en Algérie il y a une grande culture de "manga alégeriens", tu confirmes?
Enfin à propos du multiculturalisme, comme on en a parlé l'autre jour, la France le comprend très mal je pense... J'ai commencé à lire un texte d'Anthony Kwame Appiah "Les patriotes cosmopolites" qui essayhe de trouver un équilibre entre l'identité des colonisés et des colons... c'est là que se trouverait l'idéal d'un nouveau type de nationalisme (pas forcément replié sur soi... )