Les rêveries du promeneur pas vraiment solitaire
Stéphane Hessel n’est plus. Celui qui nous a tous invités, du Nord au Sud, de l’Est a l’Ouest, à nous indigner, a tiré sa révérence. La nouvelle est tombée mercredi matin, elle m’a rappelé sa pensée, dans un pays en constante indignation. Indignation des femmes pour leurs droits, indignation des citoyens pour la démocratie, indignation des Hommes contre le système en place. Il y a les grandes et les petites indignations. Celles qui relèvent des grandes questions de sociétés, et celles qui relèvent de notre quotidien. Souvent, les deux se rejoignent car elles sont intimement liées.
Ainsi, comme le disait Stéphane Hessel dans un de ses derniers interviews accordé à l’Agence Française pour le Développement,
“Nous sommes tous conjointement responsables de ce que la crise, dans laquelle nous vivons maintenant depuis 5 ans, ait affecté tout particulièrement les pays du Sud”.
Selon le Crédit Suisse, les 1 % les plus riches de la planète possèderaient 43,6 % de la richesse et les 10 % les plus riches en détiendraient 83 %.
1,3 milliard d’habitants vivent toujours sous le seuil d’extrême pauvreté, soit près du quart des habitants de la planète.
(Source : Observatoire des inégalités).
Je vis aujourd’hui dans un « pays du Sud », un de ceux que l’on appelait il n y a pas si longtemps “Pays Sous Développé » (Harry Truman, 1949), pour lui préférer ensuite le terme plus politiquement correct de “Pays En Développement”. Terme qui a justifié les politiques d’aides au développement, notamment du FMI et de la Banque Mondiale, basées sur l’établissement d’un modèle économique libéral, condition de l’octroi des-dites “aides”.
Je suis donc de l’autre côté du miroir et je dois assumer ma place en tant que Jeune, Femme, Européenne, et beaucoup d’autres adjectifs qui font parti de mon identité et sont mis à l’épreuve au quotidien, pour mieux me rappeler mes idéaux et me battre pour eux.
Je suis Jeune, et j’ai la chance d’avoir terminé des études passionnantes. Mais je m’indigne lorsque l’on me reproche d’être trop jeune, pas assez expérimentée ou trop qualifiée, pour obtenir les emplois que je convoite, ceux pour lesquels j’ai étudié dur, qui ne semblent pourtant pas envisageables pour moi avant mes trente ans! On dit que la crise de l’emploi et les délocalisations y sont pour quelques choses… Et qu’il faudrait “imposer des normes sociales et environnementales dans le commerce mondial” et “négocier un autre partage du temps de travail”.
Je suis Femme, je viens d’un pays où je suis libre de porter des minijupes et des talons hauts sans que cela ne soit répréhensible. Même si cette définition de la liberté me parait de plus en plus discutable, je m’indigne donc lorsque l’on me conseille de me couvrir les jambes qui, pour moi ne sont pas synonymes d’objets de désir ostentatoire. Mais je m’indigne aussi lorsque les hommes dans la rue me sifflent, me suivent ou me dévisagent, parce que je suis femme. Comme disait Simone de Beauvoir, « on ne naît pas femme, on le devient ». On en prend conscience quand cette féminité est mise à l’épreuve. La féminité est un construit social : ici on est femme, fragile, mère, reine, chez nous on est femme, indépendante, forte, sexy… les normes sociales de cette féminités sont différents d’un lieu à un autre.
Je suis Européenne, et je n’ai donc pas besoin du précieux visa Schengen pour circuler en Europe, je n’ai pas non plus de grandes difficultés à voyager en Egypte par exemple, alors que beaucoup de mes amis égyptiens ne verront peut-être jamais mon pays. La question de la libre circulation des personnes et de l’ouverture des frontières fait débat, et le rêve d’une citoyenneté mondiale pour lequel Stéphane Hessel se battait n’est pas encore réalisable.
Je suis Gourmande, et j’aime découvrir la gastronomie de mon pays hôte, déguster les merveilleux basboussa et molokheya dont peu ont le secret mais je m’indigne lorsque je vois les rayons des supermarchés inondés de produits fabriqués par des multinationales qui entretiennent un système d’exploitation et d’appauvrissement des pays du Sud. On parle de souveraineté alimentaire ou de «droit qu’ont les peuples à définir leurs propres politiques agricoles et alimentaires sans dumping vers les autres pays”, Via Campesina, Rome, 1996.
Je suis Curieuse de la vie et des gens, j’aime connaitre ceux qui m’entourent et leurs petites contrariétés. Mais je m’indigne contre un monde Big brother où chacun est fiché, suivi, surveillé, dans la rue ou sur internet, au supermarché ou au restaurant grâce à sa carte bleue, sa puce de téléphone, son compte Facebook, les caméras de surveillance…
Je suis Engagée, et je m’indigne donc des anecdotes que j’entends jusqu’ici, sur les “territoires palestiniens occupés” voisins de l’Egypte, racontées par de ceux qui les ont visités. Checks points, blocus de Gaza, mur de séparation et routes interdites, tout ce qui fait le lot quotidien de milliers de palestiniens est parvenu ici jusqu’à mes oreilles, alors que la situation est souvent mal connue en France. Stéphane Hessel était d’origines juive, rescapé des camps, il avait d’abord cru à la création de l’Etat d’Israël après la seconde Guerre Mondiale, avant de visiter ce pays sans Etat et de commencer à lutter contre l’occupation israélienne.
Voilà quelques unes de mes révoltes intérieures, inspirées par ce Grand Homme, et je suis fière de dire qu’il fut entre autres chose ambassadeur de France, ambassadeur des Nations Unis, et fervent défenseur des droits humains. Et vous pourquoi êtes-vous indignés?
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