pascaline

D’Alexandrie à Marseille : où en est la culture euro-méditerranéenne ?

Crédit photo : Alda

A l’heure où tous les médias sont braqués vers la cité phocéenne, depuis l’inauguration de la Capitale de la culture 2013 le 12 janvier dernier, il est temps pour moi de surfer sur cette vague du succès pour vous raconter ma ville en mots, en images et en musique. Elle passe ainsi du statut de ville de tous les dangers à nouvelle plateforme culturelle de l’Europe et même de l’Euroméditerranée.

Crédit photo : Ingrid Quefeulou
Crédit photo : Ingrid Quefeulou

C’est du moins la prétention des investisseurs qui ont participé à payer les modiques 600 Millions d’Euros de dépenses occasionnées par l’événement. Alors que le Musée des Civilisations de l’Europe et de la Méditerranée (MuCem) a ouvert ses portes pour un week-end (avant l’ouverture officielle prévue au printemps prochain), je me suis questionnée sur la nouvelle capitale depuis l’autre rive et sa «fausse-jumelle » Alexandrie.

Pour commencer, j’ai voulu trouver quelques éléments de ressemblance et aussi de divergence, entre ces deux villes. Je vous laisserai en faire autant : cet article est illustré de photos de Marseille et d’Alexandrie. A vous de savoir quelle photo à été prise dans quelle ville. Attention, les apparences sont parfois trompeuses !

Crédit photo : Ursule Louis
Crédit photo : Ursule Louis

En France, l’image de Marseille est la ville désordonnée par excellence, un peu différente des autres villes du pays, on la surnomme même la  « 49ème wilaya » (découpage politique et administratif de l’Algérie). Référence est ici faite à sa population importante en provenance du pays d’Alger la Blanche, mais aussi à ses nombreux petits commerces, ses klaxons et aussi son esprit méditerranéen qui lui donnent tout son charme. Je pensais donc, en arrivant à Alexandrie que j’allais retrouver un peu la même ville, de l’autre côté de la Méditerranée et que je ne serai pas trop dépaysée puisque je restais dans cette grande région de la mare nostrum ! C’était en fait bien plus compliqué que ça ! Avec un peu de recul, je viens ici vous faire part de mes impressions sur cet « esprit méditerranéen ».

Crédit photo : Ingrid Quefeulou
Crédit photo : Ingrid Quefeulou

J’ai ainsi pris encore un peu plus conscience ici que « Marseille, porte de l’Afrique, construite par l’immigration », se distinguait des autres villes de France… par son ambiance plus chaude que le mistral, ses rues un peu en désordre, ses habitants qui n’hésitent pas à vous aborder, bon gré, mal gré, pour vous parler du temps qu’il fait ou du temps qui passe…Tout ce qui nous agace parfois, mais qui apporte un grain d’humanité dans notre monde hyper-sophistiqué et hyper-aseptisé. Car cette étiquette de mauvaise élève lui colle à la peau, la stigmatise, et l’oriente vers des projets comme Euroméd qui parfois lui volent son identité, et celle de ses habitants.

Crédit photo : Ingrid Quefeulou
Crédit photo : Ingrid Quefeulou

Ainsi, nos souvenirs nous ramènent à l’été 2011 où la Porte-d’Aix avait vu débouler une armée de CRS pour garder ses pelouses, après l’expulsion des familles sans logis qui y avaient établi résidence. Des expulsions, il y en a eu d’autres pour donner à la ville ce nouvel éclat promu par les organisateurs de la Capitale Culturelle. Pourtant, si l’on remodèle les rues de Marseille, pour en faire une vitrine pour les touristes et les investisseurs, c’est aussi toute cette culture du Sud, que l’on perdra, culture qui est justement vendue dans le projet Marseille-Provence 2013.

photo
Crédit photo : Ursule Louis

Mais qu’est-ce que la culture du Sud ? Qu’est ce qui construit cette identité méditerranéenne ? Quels sont les points communs entre Marseille et Alexandrie ?

Voici quelques éléments de réponse au regard de mes observations.

J’ai ainsi retrouvé à Alexandrie :

  • la corniche, ses pêcheurs et ses embouteillages

  • le tram, avec une nuance ici, à Alexandrie, les wagons pour femme en tête.

  • les petits et grands restaurants de poissons qui longent le port

  • Les cafés en terrasse, et en tout genre ! Et les pâtisseries orientales dorées au miel.

  • les marchés et autres souks animés, qui me rappellent le marché du Soleil

  • les quartiers populaires, les odeurs d’épices et les cris d’enfants dans les rues

  • les musiques aux tonalités orientales qui s’échappent des voitures ou plus commun ici, des motos chinoises

  • Les jeunes et les vieux en bas des immeubles qui regardent les passants et refont le monde

  • La misère que l’on dit moins pénible au soleil mais qui est bien là et qui s’accroit

Ce que je n’ai pas retrouvé :

Crédit photo : Alda
Crédit photo : Alda
  • Les soirées marseillaises dans tous les bars de la ville (du cours Julien à Noailles) qui jouent les groupes de musique de la région (de Massilia sound system à Keny Arkana en passant par Iam, Ba Cissoko, et Watcha clan) et d’ailleurs et nous font danser toute la nuit
  • Les « bobos » de la Plaine avec leurs boutiques et marchés bio-écolo-équitables qui nous apprennent à re-manger des légumes

  • Les « cagoles » du centre ville qui se trémoussent avec leurs « piloties » qui « rendent tous les garçon fous »

  • Les « cités d’or »  des quartiers Sud aux quartiers Nord ; celles qui font parler de la ville jusqu’au delà des frontières ; qui sont les laissées pour compte des politiques urbaines et qui voient leur précarité accroître avec la gentrification du centre-ville

  • Les mamans en pyjamas et Birkenstocks (marque de chaussure devenue une véritable institution à Marseille) qui vont chercher leurs enfants à l’école

  • La calanque des Goudes et ses cabanons, petit paradis de nature où l’on va passer  « les dimanches en famille ou entre amis »

Puisse cette année de Capitale Culturelle mettre en lumière la vraie ville de Marseille, celle qui fut terre d’accueil à la porte de l’Orient, celle que nous connaissons tous, Marseillais de cœur ou d’origine, et que nous aimons !

https://www.youtube.com/watch?v=9xeK1_nxkjs

Cet article est également disponible sur le site du Marseille Bondy Blog.


Cairokee ou le phénomène d’une génération Facebook et Révolution

Crédit photo : Flikr
Crédit photo : Flickr

En ce vendredi 5 janvier, à Alexandrie, la génération Facebook était de sortie à la Bibliotheca Alexandrina. Ils étaient jeunes pour la plupart, et parés de leurs smartphones dernier cri pour rendre compte de l’événement en direct sur la toile sur tous les réseaux sociaux. Phénomène d’une génération qui colle parfaitement à l’image du groupe, devenu  nouvel icône de la musique égyptienne depuis la révolution : Cairokee.

Le grand théâtre de la Bibliothèque était rempli, et les gardes du corps de sortie pour l’occasion, tout comme les plus belles toilettes des jeunes visiteurs qui nous laissaient penser que l’évènement était de taille. En effet, ce n’est pas tous les jours que la deuxième ville du pays accueille le groupe cairote qui chante la révolution. Le nom du groupe est d’ailleurs un jeu de mots entre « Cairo », la célèbre capitale égyptienne et « karaoké », pour exprimer la connexion entre la musique du groupe et sa ville.

 Certains leur reprocheront leur manque de professionnalisme, car il est vrai, leur jeu de scène n’est pas encore très affiné ; le groupe s’est formé en 2003 mais a connu un succès exponentiel ces deux dernières années. Le groupe a commencé avec Amir Eid (voix&guitare) et Sherif Hawary (guitare), qui jouaient ensemble pour le plaisir, et les autres membres se sont joins à eux par la suite : Tamer Hashem (baterie), Adam El Alfy (Basse) et Sherif Mostafa (clavier).

Ils arrivent maintenant à remplir des salles de centaines de personnes, avec des entrées à 50 livres égyptiennes, somme onéreuse alors qu’il demeure rare à Alexandrie que les gens paient pour aller voir un concert. « Il n’y a qu’en Egypte qu’on peut voir un groupe amateur remplir des salles » me dira un ami égyptien pour exprimer ce paradoxe.

Mais le message parle à la jeune génération, celle de la révolution, qui se rappellera peut-être ce moment phare de l’histoire de son pays dans vingt ans, en écoutant Cairokee.

Leurs chansons mettent en mots la société égyptienne contemporaine et s’adressent aux jeunes du monde entier, en quête de liberté et de dignité. Les artistes de talents qui composent avec ce groupe lui donnent toute sa dimension.

https://www.youtube.com/watch?v=ZpUpA3bY_bU

Ainsi, la chanson Ya El Midan chantée en featuring avec la chanteuse Aida El Ayouby est comme un hommage à la place Tahrir, et tout le symbole qu’elle représente, les espoirs qu’elle incarne, ceux qui sont depuis perdus et ceux qui perdurent encore. Ces mots nous font écho aujourd’hui, au regard des évènements récents.

Une autre chanson, Ethbat Makanak, en duo avec le brillant Zap Tharwat, parle aux jeunes (et au nom des jeunes) qui font la révolution pour les encourager à suivre leur conscience et à exprimer leurs idées, malgré l’oppression et la répression. La prestation du rappeur nous transporte, et la chanson prend une nouvelle dimension lorsqu’on en comprend le sens. Je vous en laisse le plaisir…

https://www.youtube.com/watch?v=WX6pg4zRQRw

Quand le passé et le présent se croisent, les mots résonnent encore plus fort…

Le pari est ainsi gagné puisqu’au prix de quelques efforts (entre les téléphones des voisins et les lumières de la salle), nous nous laissons aller aux rythmes des mélodies rocks, teintés de tonalités orientales en suivant les élans de la foule en délire. Le public se lève et même les plus fervents geeks lâchent leur téléphone pour esquisser quelques pas de danse, et exprimer leurs encouragements aux artistes. Notre seule regret à ce moment là, être coincé au milieux des fauteuils du théâtre, et ne pas pouvoir danser !

Après quelques semaines de stand-by culturel, ce fut un beau plongeon dans la jeune Egypte en fête !

Pascaline


Un petit tour du côté de la « Midan El Tahrir »

Samedi dernier, alors que l’Egypte, ou, dois-je dire, une partie des égyptiens (63% pour être exacte) s’apprêtait à adopter la constitution controversée qui avait fait naître un profond malaise dans le pays, je me rendais sur le lieu symbolique de toutes les révolutions… J’ai nommé, la désormais célèbre place Tahrir.

Quelle était l’ambiance sur cette place ? Quelle est la réalité de cette image de la révolution ? Comment vit le cœur du mouvement social qui s’est (ré)animé ces dernières semaines ?

Voici quelques réponses en mots et en images.

Crédit photo : Pascaline
Crédit photo : Pascaline

J’avais depuis quelques semaines, pris l’habitude de la voir à toutes les heures du jour et de la nuit, cette place Tahrir, en direct sur El jazira mubasher Masr, la version égyptienne de la célèbre chaîne qatarie. Elle était branchée en permanence dans de nombreux cafés du pays. Et l’on pouvait y suivre les évolutions de la contestation, à travers ce microcosme représentatif du mouvement.

 J’avais donc pris mon courage à deux mains, malgré les missives quelques peu alarmantes de l’ambassade de France, qui la décrivait comme un « emplacement à éviter ». M’aventurant pas à pas, je commençais par demander aux gens où se trouvait le musé national (situé aux abords de la place), afin de justifier ma présence ! Paranoïa aiguë ou prudence justifiée par le « mythe » ? Peut-être un peu des deux…

Toujours est-il que l’ambiance m’est apparue plutôt détendue sur les lieux. Campements et banderoles jonchaient le rond -point au milieu de la place, la circulation étant coupée par des barrages de fortunes, faits de fils de fer et autres gravas. L’image me rappelait la fête de l’Humanité, rendez-vous annuel du célèbre journal communiste français, mêlant ambiance conviviale et meeting politique. Il est vrai que c’était l’heure de la prière, ce qui pouvait expliquer la quiétude des lieux qui se remettaient à peine des manifestations de la vieille.

Crédit photo : Pascaline
Crédit photo : Pascaline

 J’ai aussi été marquée par la présence de nombreuses familles pauvres, qui semblaient avoir élu domicile ici, au milieu des campements. Est-ce pour cela que la révolution avait commencée ? La polarisation sociale, où les riches sont toujours plus riches et les pauvres encore plus démunis, était sans doute une des raisons parmi tant d’autres… Raison qui me frappait aux yeux en cet instant, dans une image de misère douloureuse et déconcertante.

 Des stands de vendeurs de drapeaux égyptiens mais aussi palestiniens s’était établis, les révolutionnaires seraient-ils acquis à la cause ? Ce qui est sûr, c’est que la révolution est aussi un commerce, alors que beaucoup de touristes ont déserté la ville et le pays. Elle est aussi de tous les programmes internationaux de coopération avec les pays du Proche et du Moyen Orient et du Maghreb. Le printemps arabe demeure toujours romantique aux yeux des occidentaux, comme le disait François Burgat, directeur de l’Institut Français du Proche Orient, il y a presque un an de ça…

 Un travailleur du musée me dit pourtant de ne pas traîner aux abords de la place, car « il y a eu des problèmes » la veille, et il ajoute « allez plutôt voir le magasin de papyrus et de parfums pour apporter des souvenirs »… Me faisant comprendre implicitement que le touriste n’est pas attendu comme un spectateur (voyeur ?) des mouvements qui secouent l’Egypte en ce moment ; c’est plutôt le touriste-consommateur que recherchent les commerçants, alors que l’économie du tourisme est au plus mal.

 Un peu plus loin, le bâtiment de la Ligue Arabe trône, majestueux et impassible à ce qui se passe en bas de sa rue.

Crédit photo : Pascaline
Crédit photo : Pascaline

Il y a aussi la rue «Mohamed Mahmoud » et ses graffitis ; elle avait été le théâtre d’un soulèvement en novembre 2011, faisant plus de 50 morts. Quelques enfants jouent devant les graffitis qui recouvrent des murs entiers de la rue et symbolisent l’expression du peuple égyptien à travers cet art devenu une institution. Visages des martyrs de la révolution, portrait peu flatteur du président déchu ou encore des policiers, les symboles sont nombreux dans cette rue et un peu partout dans la ville, actualisés au fil des évènements.

Crédit photo : Pascaline
Crédit photo : Pascaline

Quelques touristes, peu nombreux, se hasardent à prendre des photos, alors, discrètement j’ose à mon tour. Malgré quelques regards désapprobateurs, les passants sont plutôt sympathiques, et certains s’aventurent même a engager la conversation, alors que je fais de mon mieux pour suivre, avec mon arabe hasardeux. Malgré l’absence de circulation sur ce qui est habituellement un rond-point des plus fréquenté du Caire, la vie semble se poursuivre comme d’habitude, alors que cet endroit m’apparaît comme si particulier.

Mais je parais la seule à avoir ce sentiment ; l’attention accrue des médias sur cette « Midan El Tahrir » a sans doute contribué à construire ce mythe, agrémenté par les nombreuses anecdotes de la révolution qui circulent dans les rues du Caire et même jusqu’à Alexandrie. Mon imagination aura sans doute fait le reste… Et à quoi servent les mythes si ce n’est pour être déconstruit ?

 

Bâtiment de la Ligue Arabe.Crédit photo : Pascaline
Bâtiment de la Ligue Arabe.
Crédit photo : Pascaline

 


Etat de la situation à Alexandrie, Egypte, à une heure H

« A quatre jours du référendum sur la Constitution, l’Egypte en état de siège » (RFI)

« L’Egypte déchirée par une dramatique crise d’identité » (RFI)

« Affrontements sanglants au Caire entre opposants et Frères musulmans » (Le Monde)

« Egypte : la tentative de médiation de l’armée a fait pschitt » (Le Monde)

« En Égypte, Morsi joue la Constitution contre le chaos » (Le Figaro)

Telle est la version française des événements de ces derniers jours en Égypte. Voici également quelques extraits de la version Égyptienne, au regard des journaux locaux et des informations diverses qui nous parviennent.

Manifestation à Alexandrie. Crédit photo : Ingrid Quefeulou&Paulina Raduchowska

Mohamed Morsi a retiré le décret lui accordant des pouvoirs étendus, pour le remplacer par un autre texte, aussi controversé. Le président est revenu sur son décret, après avoir appelé, jeudi 6 décembre, les partis de l’opposition au dialogue. Ceux-ci ont pour la plupart refusé, mais la réunion a bien eu lieu. Abdallah Kalil, avocat et expert juridique, explique dans le journal Al Ahram hebdo (n°952, Alaa Al Korachi, « Le dialogue de Morsi, une rencontre d’alliés »), que ce nouveau texte n’est pas rétroactif, c’est-à-dire qu’il n’annule pas les effets du premier texte qui avaient déjà été appliqué : la révocation du procureur général et la nomination directement par le président Morsi d’un nouveau procureur qui détient des pouvoir exclusifs, le passage de la loi de protection des acquis de la révolution. Même ci ce dernier a depuis démissionné, sous la pression des juges.

Le référendum pour ou contre la constitution a été maintenu aux samedis 15 et 22 décembre et les Égyptiens de l’étranger ont commencé à voter avant cette première date. Après avoir appelé au boycott du référendum, le Front du Salut National, coalition des principaux partis de l’opposition, a finalement appelé a voter Non.

Les juges ont finalement décidés de superviser le référendum après le retrait du décret présidentiel controversé, mais beaucoup s’y opposent encore, c’est pour cette raison que le vote a lieu sur deux samedis afin de réunir suffisamment de magistrats pour l’encadrer. Cela pose question car il y aura une semaine de délais entre le vote d’une partie de la population, et de l’autre. Une semaine durant laquelle il peut se passer beaucoup de choses…

Crédit photo : Ingrid Quefeulou&Paulina Raduchowska

L’armée était autorisé à arrêter les civils, jusqu’à la tenue du référendum, afin de préserver la sécurité nationale. C’est ainsi les nouveaux pouvoir qui lui ont été conférés par le président pour pouvoir maintenir son référendum. Elle devient le troisième acteur du conflit, après être sortie de l’ombre en appelant les différentes parties au dialogue. Certains accusent l’armée et les Frères Musulmans d’un complot pour se partager le pouvoir, après la révolution de février 2011. Tous doutes de quel côté elle se rangera dans cette nouvelle bataille. La nouvelle constitution, qui était votée en ce samedi 15 décembre, maintien l’emprise économique de l’armée et accorde un statut juridique aux tribunaux militaires, comme celui de la justice civile. Toujours est-il que les militaires ont retenu la leçon et ne souhaitent pas s’impliquer dans le conflit sur le terrain. Et les Égyptiens ne semblent pas non plus prêt à accepter une nouvelle place politique pour l’armée : certains nous ont dit que les militaires au pouvoir seraient pire que Mohamed Morsi.

La place Tahrir est toujours occupée par les opposants à Mohammed Morsi et le palais présidentiel Al Ittihadia est devenu le nouveau symbole des luttes engagées dans le pays depuis bientôt un mois.

Plusieurs violences ont été constatées ces derniers jours entre les partisans du président et les autres, notamment dans la nuit du 5 au 6 décembre. On a fait état de huit morts et de centaines de blessés. Il est pour autant difficile de mesurer l’ampleur de ces violences. Les vidéo de ces incidents, sur lesquelles l’on voit des hommes se faire frapper violemment, des voitures brûler et des photos de victimes blessées circulent sur Facebook. Incidents isolés ou escalade de la violence que ces images ne font qu’attiser ? Il est sans doute encore trop tôt pour le dire. Toujours est-il que celles-ci ne font que contribuer à construire un climat de peur et de méfiance au sein du peuple, et créer une division entre les partisans du président et les révolutionnaires.

Chaque camp prétend que les martyrs qui sont tombés étaient de son côté, et Dia Rachwane, politologue et spécialiste des mouvements islamistes, va jusqu’à déclarer que Les Frères Musulmans ont transformés le conflit politique en un conflit religieux-civil. ( Al Haram Hebdo n° 952, Heba Nasreddine, « Les discours et l’autre réalité »),

Au delà de cette position officielle, il y a de multiples informations qui nous parviennent au jour le jour, et l’on n’arrive plus très bien a distinguer le vrai du faux. En effet, les rumeurs vont bons trains en ce climat d’incertitude rythmé par les manifestations du mardi et du vendredi de chaque semaine. Voici quelques unes des répliques que l’on peut entendre ici ou là…

Crédit photo : ingrid Quefeulou&Paulina Raduchowska

«  Achète du crédit pour ton téléphone, on ne sait pas ce qui va se passer aujourd’hui. » Est-ce que mon téléphone m’aidera vraiment en cas de crise ?

« Avez-vous fait des courses de nourritures ? Juste au cas où il se passe quelque chose…» Les épiceries vont être pillées ?

« Il y a des gens avec des épées en bas de chez moi qui m’empêchent de passer ! », des épées, tu es sûr ?

« Est-ce que vous avez peur ?!!! ». Pourquoi, on devrait ?

« La révolution à commencé comme ça…». Dois-je en déduire que c’est la révolution ?

« Les Alexandrins ont déclarés leur indépendance face à un État égyptien contrôle par les Frères Musulmans ! ». Pardon ?

En Égypte, il y a les gens qui ont connu la révolution, et les autres. Ceux qui faisaient des rondes dans leurs quartiers pour les protéger des pillages (qui ont d’ailleurs repris du service dans certains quartiers), ceux qui sont restés chez eux à partir de 13h, 16h ou 18h, couvre feu oblige, qui ont vu brûler le bâtiment du gouvernorat, a Alexandrie… et les autres, dont je fais partie. Vous vous douterez bien que les phrases alarmistes n’ont pas tout à fait la même incidence, dans les oreilles des uns et des autres. Il faut donc essayer de se faire un avis sur la question, en écoutant les impressions des uns et des autres, tout en restant à sa place dans ce pays qui n’est pas le notre.

Mais ce qui nous semble être la vraie question qui divise les Égyptiens en ce moment, qu’ils soient musulmans ou coptes, c’est de savoir si ils veulent vraiment d’un État islamique. Car si les arguments des deux camps vont au delà de cette question, elle semble cristalliser le débat.

Et je me suis rendu compte de sa complexité, lorsque mardi dernier, en voyant passer la manifestation, j’ai assisté à une scène assez étonnante au moment où l’appel a la prière a retenti : les manifestants anti-Morsi qui entonnaient des slogans aux rythmes de leurs pas sur la rue Fouad (la plus ancienne rue d’Alexandrie) se sont arrêtés au milieu de la chaussée, pour prier, avant de repartir à leur combat. Vous avez-dit paradoxal ?…

Crédit photo : Ingrid Quefeulou&Paulina Raduchowska

 


Lettre au président Morsi

Crédit photo : Ingrid Quefeulou

Monsieur Le Président,

 Je ne vous connais pas encore très bien car je viens tout juste de faire votre connaissance. Avant mon arrivée en Egypte, je n’avais entendu que quelques mots à votre sujet : Frère Musulman, islamiste, Président. Depuis, je dois dire que la liste des adjectifs qui vous sont associés s’est largement agrandie. Et je dois vous avouer Monsieur le Président, que ces derniers jours, ils n’ont pas toujours été très élogieux à votre sujet. La place Tahrir est redevenue, comme en 2011 un haut lieu de rassemblement et les appels à manifester se renouvellent depuis maintenant plus d’une semaine dans tout le pays. Ils réclament votre départ et la chute du régime. Lorsque l’on parle de manifestations, les gens utilisent désormais le terme de révolution. Abus de langage ou volonté commune de remonter au créneau ? Seul l’avenir nous le dira.

Si j’ai suivi cette révolution et la situation politique de votre pays, c’est tout de même de très loin. J’ai découvert dans les médias les grandes étapes politiques avant votre arrivée au pouvoir. Votre confrérie, les Frères Musulmans, interdite sous Moubarak a été légalisée le 6 juin 2011 sous le nom du Parti de la Liberté et de la Justice (PLJ). Il a remporté aux élections législatives de novembre 2011 et janvier 2012, la moitié des sièges de députés. Puis vous avez remporté les élections présidentielles en juin dernier.

Pour ne rien vous cacher, il y avait depuis votre élection, des idées qui circulaient à votre sujet dans ces médias là : des idées selon lesquelles vous voudriez transformer l’Egypte en Iran, celui de Persepolis qui persécute les jeunes filles qui ne couvrent pas leurs têtes et qui écoutent du rock. Et dans les rues d’Alexandrie, ces inquiétudes ont retenti ces derniers jours auprès d’une partie de la population. Certains voient dans votre engagement religieux une preuve de vos valeurs humaines d’honnêteté, de respect et une crédibilité; d’autres y voient une menace pour la liberté et la pluralité religieuse.

 Les égyptiens qui sont dans les rues ne veulent pas se faire voler leur révolution, par vous ou par qui que ce soit. Une révolution dont ils ont payée le prix par les martyres, les blessés, les traumatisés, le chaos, les séquelles, que l’on perçoit aujourd’hui encore. Cette révolution est leur fierté, et vous en avez irrité quelques uns en agissant au nom de celle-ci dans vos dernières décisions. Ceux qui pensent que vous ne représentez pas le courant révolutionnaire. D’autres voient en vous l’aboutissement de cette révolution. Ils sont également descendus dans la rue pour défendre vos idées. J’ose espérer que la lutte de ces deux courants de pensée se fera par la rue, mais pas dans la rue.

Le point de départ de ces effusions est un décret que vous avez sorti, qui prévoit que toute

« les décisions et lois émises par le Président […] sont définitives et non sujettes à un recours en justice ».

Al Ahram Hebdo n°950, 28 novembre 2012.

De plus, le conseil consultatif et l’assemblée constituante ne pourront être dissous. Ce texte vous attribue donc les pleins pouvoirs pour la rédaction de la Constitution. Et cette Constitution est importante pour les égyptiens, car elle tracera les bases de l’Egypte de demain, celle de leurs enfants et de leur avenir. Cette constitution dont le projet a été adopté à la hâte, vendredi 30 novembre, par l’assemblée constituante afin d’être soumise à un référendum, prévu le 15 décembre prochain.

Les égyptiens demandent donc en manifestant, l’annulation du décret et certains même votre départ. Nasser Amin, le directeur du centre de l’indépendance des juges va jusqu’à déclarer, dans l’hebdomadaire francophone Al Ahram Hebdo :

« aucun régime n’avait osé toucher si profondément à l’indépendance des juges »

Alaa Al Korachi, « Le pouvoir judiciaire touché au cœur », Al Ahram Hebdo n°950, 28 novembre 2012.

Vous me direz que vous n’en avez pas fait mauvais usage jusque là, que vous avez apporté un peu de paix en Palestine et que vous êtes tout autant de bonne foi lorsqu’il s’agit de la gestion de votre propre pays. Beaucoup d’égyptiens ne demandent qu’à vous croire. Ils veulent que vous meniez à bien vos missions pour développer le pays, remettre à flot l’économie, poursuivre les avancées de la révolution (liberté d’expression, lutte contre la corruption…).

Mais une partie de ce peuple égyptien manifeste son mécontentement, car il a connu trente ans de dictature d’un homme et d’un régime qui n’a pas suffisamment rendu compte de ses actes devant les juges. Vous souhaitez réouvrir des procès contre les personnes accusées de meurtres pendant la révolution de février 2011, mais selon la loi, il faut pour cela des preuves. Vous avez limogé le procureur général Abdel-Meguid Mahmoud, ce qui était le souhait des révolutionnaires, puisqu’il symbolise l’ancien régime de Moubarak. Pourtant, votre décision fait polémique, car elle a outrepassé l’indépendance de la justice. Les juges ont donc décidé de suspendre le travail en attendant l’annulation de votre déclaration constitutionnelle. Mohamad Zaki, le vice président du conseil d’Etat pense que cette concentration du pouvoir amènera le pays dans une corruption généralisée (Chaïmaa Abdel-Hamid, Al Ahram n°950, 28 novembre 2012). Lorsque l’on veut jeter les bases d’une démocratie, on doit sans doute le faire sur des bases solides.

Donc vous avez la lourde tâche d’instaurer cette démocratie, le mot qui est dans toutes les bouches, dans un pays où la corruption est devenue une tradition depuis trente ans, et où les caisses sont vides. Ceci représente beaucoup de responsabilités pour un seul homme. Mais si vous voulez justement faire vivre cette démocratie, pourquoi ne pas vous appuyer sur ce qui constitue une des garanties de celle-ci : la séparation de pouvoirs ?

Certains pensent que vous avez raison, mais une démocratie ne peut pas être construite sans le peuple, dont une partie est dans la rue aujourd’hui et contre vous. Je sais que la route à été longue et que l’on ne bâtit pas une démocratie en deux ans.

Une partie du peuple égyptien croit encore en vous. Ils pensent que l’on doit passer par cette phase pour réussir le projet de développement que vous avez promis. Si vous leur donnez le signe de votre bonne foi, si vous leur prouvez que vous voulez la paix ; si vous montrez que votre but n’est pas de voler la liberté retrouvée de nombreux égyptiens et leur joie de vivre, de ne pas transformer ce pays que j’ai appris à aimer en un régime théocratique. 

D’après ce que j’ai compris, l’avenir du conflit qui se joue dans les rues égyptiennes aujourd’hui tiendra à votre bonne foi, alors permettez-moi d’y faire appel.

 Respectueusement.

Pascaline.


J’aurais voulu être égyptien

Non, ce n’est pas moi qui le dit, prise d’une soudaine envie d’assimilation à la culture égyptienne ; ce sont les personnages de la pièce « J’aurais voulu être égyptien », adapté du roman « Chicago » de l’auteur égyptien Alaa El Aswany, qui était joué le jeudi 8 novembre à l’opéra d’Alexandrie, en coopération avec l’Institut Français.

C’est un public majoritairement francophone qui était venu voir la pièce, jouée en français avec des sous-titres en arabe parfois limités. Toute la communauté expatriée s’était retrouvée, parée de ses plus beaux habits et curieuse de la mise en scène du roman « Chicago », paru en 2007. Car c’était un véritable défi relevé par Jean-Louis Martinelli, que de faire vivre cette histoire au delà des mots, et de nous replonger dans une autre communauté, la communauté égyptienne de Chicago ; On a rencontré ce soir là, un étudiant épris de liberté, une épouse frustrée, un bon docteur, un universitaire usurpateur, un tartuffe islamique et un espion pervers venus étudier, travailler, faire fortune, chercher une nouvelle vie, ou tout cela à la fois.

Mais tous ces personnages n’en restent pas moins en proie aux questionnements qui secouent leur pays, et retranscrivent le débat au sein de leurs relations. Car nous sommes dans l’Egypte dictatoriale de l’ère Moubarak, avec sa corruption, ses méthodes de pression et d’intimidation, sa loi du silence. Ce sont justement les moments où le silence est brisé, où les tabous tombent, en matière de politique, mais aussi de sexe ou encore de religion, que nous donne à voir l’auteur, pour notre plus grand plaisir. Il est intéressant de fouiller dans les contradictions passées d’une société en plein changement pour mieux la comprendre ; contradictions qui ont amenées à une révolution. Alaa El Aswany dit de celle-ci, qu’elle est encore d’actualité :

« C’est un changement de vision du monde et dans la société à tous les niveaux : économique, social, culturel et bien sûr politique […] il y a des choses qui n’ont pas été faites, d’autres qui auraient pu être mieux réalisées ; je ne dis pas que tout est parfait. Je crois notamment que la justice sociale, qui était l’un des idéaux de la révolution a été un peu trop vite oubliée. »

« Regard d’Alaa El Aswany sur la transition en Egypte », Marwan CHAHIN, Moyen-Orient n°16 p10-14, Octobre-décembre 21012.

 Ces paroles expliquent un peu et  décrivent beaucoup, certaines des contradictions qui demeurent dans cette nouvelle société en construction, qui garde un pied dans le passé.

Les questions de religion, « à laquelle les égyptiens sont très attachés », les questions de mœurs, de justice sociale, de politique internationale font débat entre les partisans d’une Egypte conservatrice et les autres, souvent plus libéraux qui aspirent à plus de libertés individuelles. Toutes ces questions, qui se posaient déjà avant la révolution, et qui ont été retranscrites dans la pièce d’Alaa El Aswany, nous aident à adopter une lecture du présent plus précise, puisqu’elle est ancrée dans le passé.

Une autre question qui apparaît dans la pièce et aussi dans la vie, est celle de l’émigration : certains sont déjà partis il y a longtemps, comme nos personnages, tellement éloignés de leur Egypte natale, mais qui ne peuvent pourtant pas « lâcher » totalement les liens qu’ils entretiennent avec elle ; d’autres partent maintenant, déçus par une révolution qu’ils estiment ratée et des problèmes du quotidien qui persistent, enfin d’autres encore partiront plus tard, parce que c’est le rêve de beaucoup : ceux ci se sentent à l’étroit dans leur pays et pensent qu’ils trouveront ailleurs les moyens de se réaliser.

 Et on ne peux les blâmer, alors que nous avons la liberté de venir et de repartir de ce pays, et que nous pouvons jouir des bienfaits de cette nouvelle société d’accueil tout en gardant les avantages de notre nationalité : les visas, les sorties un peu tard le soir, la tolérance de la plupart des égyptiens vis à vis de notre mode de vie qui n’est pas le leur parce que l’on est justement, pas égyptien.

 


Deux Américains à Alexandrie

Ceci n’est pas un article sur les résultats des élections présidentielles aux Etats-Unis.  

Photo libre de droits

Je souhaitais faire un article sur les résultats des élections présidentielles américaines vu de l’Egypte. J’ai d’abord manqué le petit déjeuner officiel organisé par le consulat des États-Unis à Alexandrie, ce mercredi 7 novembre après les résultats. Vu de l’extérieur du consulat, aucun signe ne laissait transparaître l’issu du scrutin : il y avait bien deux bannières étoilées qui habillaient les murs du bâtiment, et de nombreuses personnes au téléphone, entrant et sortant du bâtiment. Pas de doute, il y avait bien eu une élections la veille, mais seul internet pouvait m’en dévoiler le résultat.

Pour écrire mon article, j’ai ensuite cherché des égyptiens qui pourraient me donner leurs impressions sur le sujet, l’impact que le résultat pouvait avoir ici… Mais je n’en ai pas trouvé ! A part, peut-être, ce chauffeur qui, ce matin là, en me voyant sortir de chez moi avec une amie, nous a sans doute pris pour deux Américaines; il a lancé un « Obama, good ! » qui traduisait son enthousiasme. Les autres personnes que j’ai interrogées m’ont expliqué qu’elles ne s’intéressaient pas suffisamment à la politique internationale pour pouvoir en parler. Beaucoup avaient été suffisamment déçus par la politique dans leur propre pays pour pouvoir croire que les choses pouvaient changer, à l’issu d’une élection.

 Dans ma quête aux témoignages, j’ai finalement rencontré deux Américains de passage dans la ville. Je tenais mon sujet ! Enfin… je le croyais !

J’ai donc échangé avec eux autour d’un café pour essayer d’avoir enfin un avis. Ce qui n’était pas chose facile, entre l’attraction d’une dispute sur la chaussée, les sollicitations du serveur, et le bruit du taoula ! Mais les deux Américains n’avaient aucune envie de me parler des élections dans leur pays ; ils n’étaient peut-être pas en Egypte pour cela. J’étais un peu déçue : après tout, ils étaient Américains, ils avaient sans aucun doute un avis sur la question !

J’avais un peu oublié qu’il y a un mois, lorsque je débarquais fraîchement dans cette ville qui allait devenir la mienne, je n’étais pas très à l’aise, lorsque cette fille était venue me demander ce que je pensais des caricatures du fameux hebdomadaire français, tout en ajoutant qu’elle n’aimait guère « mon » nouveau président ! Moi aussi, j’avais mon avis sur la question, mais je n’avais aucune envie de la partager en arrivant dans ce nouveau pays, avec un environnement que je découvrais à peine, et surtout… je n’acceptais pas que l’on me réduise à cela !

Photo libre de droits

J’ai aussi été déstabilisé, voir un peu agacé que l’on me prenne en photo comme une curiosité, juste parce que j’étais un peu différente. Pourtant, ce mercredi soir dernier, « mes » deux Américains ne s’étaient peut être pas sentis plus à l’aise, même s’ils étaient heureux de la victoire d’Obama ! Ils avaient votés a distance par un système de vote électronique et étaient satisfait d’avoir accomplit leur devoir. Ils avaient conscience de l’enjeu de cette élection, partout dans le monde, et de leur pouvoir de décision. Et ils pensaient aussi que beaucoup d’Américains ne s’intéressaient pas vraiment à la politique.

Mais je n’ai pas vraiment pu en savoir plus, finalement ! Et c’est peut-être mieux comme ça.