pascaline

La musique, Imany, ma mère et moi

La question me taraudait l’esprit : Comment faire le portrait d’une personne qui m’inspire ET un billet musical comme je les aime? Pour les besoins de la formation Mondoblog à Abidjan, je devais me prêter à l’exercice du portrait. J’avais trouvé la solution : j’allais tout simplement vous présenter une chanteuse qui m’inspire, par sa musique, sa philosophie et son énergie. Je voulais depuis longtemps vous parler d’Imany, mais je pensais que tout avait été écrit sur elle, puisqu’elle est la chanteuse franco-comorienne qui monte. Pourtant, je vous promets ici de vous raconter ce qui n’a pas été écrit sur elle et ce qui me touche dans sa musique.

J’ai découvert Imany lors d’un concert dans ma ville natale, Saint-Etienne, accompagnée de ma mère. Cela vous paraîtra peut-être banal, mais pour vous prouver que ça ne l’était pas, je dois vous signaler deux petits détails : je fais rarement des concerts avec ma mère, et encore moins à Saint-Etienne, puis qu’éternelle expatriée. J’avais pourtant réussi à l’entraîner avec moi, en cette soirée pluvieuse, pour venir assister au concert. Elle avait pris son fauteuil pliant, pour éviter de rester debout tout le concert, réflexe organisé des grandes personnes. J’avais quant à moi, seulement pris mon plus beau parapluie, coquetterie des jeunes personnes.

Et nous nous étions installées, sur la pelouse du parc de l’Europe, en attendant les premières mélodies de l’artiste, dont j’avais déjà entendu parler. « Tu verras, c’est super ! » avais-je dis à ma mère, qui n’en doutait pas une seconde, mais qui était surtout là pour me faire plaisir. Un quinquagénaire avait même tenté une approche pour papoter avec nous (ou avec elle) et je m’étais dit que c’était quand même drôle de sortir avec sa mère lorsqu’elle se fait draguer sous vos yeux ! Nous avons toutes deux ignoré superbement le monsieur trop loquace et terriblement ennuyeux pour nous concentrer sur la scène.

Crédit photo : Richard Kaby, Imany.
Crédit photo : Richard Kaby, Imany.

« Les filles, au lieu d’attendre que votre mec change, changez plutôt de mec ! » disait Imany pour nous introduire sa chanson « Please and change », comme si elle avait suivi la scène depuis les coulisses. Le ton de la soirée était donné. Les messieurs n’étaient pour une fois pas les rois de cette soirée, et c’était tant mieux ! Ce n’est pas comme s’ils n’occupaient pas déjà la plupart de nos pensées ! Imany ne cessera de clamer que si l’on veut quelque chose en amour comme dans la vie, on ne doit pas attendre, mais plutôt compter sur nous même et ne cesser de créer, inventer et surtout rêver pour faire briller cette petite étincelle qui pourra nous emmener très loin.  C’est comme ça que j’ai compris son message, et c’est ainsi que je me l’approprie.

A mes amis, à mes amours, Imany sait faire écho sans prétention, sans fard, et avec sincérité. A croire que certains messages sont universels. ..

Elle me fait penser à Delphine, lorsqu’elle me parle des petits jeux amoureux dans « please and change » pour nous inviter à rester nous même et à écouter notre cœur.

Elle me fait penser à Moina quand elle chante en comorien, dans la chanson  « Take care » pour nous exhorter à prendre soin des gens qu’on aime.

Elle me fait penser à Mathilde lorsqu’elle parle de ce chemin qu’elle cherche, de cette personne si spéciale qu’elle demande quand elle se sent seule dans « I lost my keys ».

Elle me fait penser à Aldinette dans la chanson « Slow down » pour nous dire que tout ira bien si on prend les choses du bon côté.

Elle me fait penser à Hélène lorsqu’elle interprète son tube « You will never know » qui évoque la fierté digne de toute femme et la difficulté de se dévoiler.

Elle me fait penser à Marlène lorsqu’elle évoque les  « kisses in the dark » dont on se souvient parfois avec nostalgie…

Elle me fait penser à Allison lorsqu’elle reprend la chanson d’India Arie, « ready for love », qui est prête à l’amour, et à offrir sa voix, ses yeux,  son âme et son esprit pour le prouver.

Elle me fait penser à Julie lorsqu’elle demande « Un gospel pour Madame » à Tété pour trouver une seule raison de croire en ses rêves.

Elle me fait penser à  Sinath, Dany et Marine lorsqu’elle incarne  «le mystère féminin » de Kery James qui reconnait que derrière chaque homme se trouve une femme…

Elle me fait penser à Faty lorsqu’elle nous parle de l’Afrique qui ressemble à la forme d’un cœur brisé et qui saigne.

Elle me fait aussi penser à Zouina et Céline dans sa dernière chanson, « the good, the bad and the crazy », où elle nous explique que l’on est libre de faire ce qui nous appartient.

…Elle me fait aussi penser à ma mère en me remémorant son concert humide dans la ville qui m’a vue naître.

COEUR

Alors quand j’ai dû trouver une personne qui m’inspirait pour en faire le portrait, j’ai automatiquement pensé à elle car il n’y a pas une personne qui m’inspire, mais ce sont toutes ces femmes. Ces femmes qui m’aident à être moi-même chaque jour un peu plus, parce qu’elles n’ont pas peur d’être vraies. Et je les retrouve en écoutant sa musique.


Un dimanche ordinaire à Marseille

J’ai commencé à vous parler de Marseille et de mon quartier. Je vous ai présenté quelques personnages. Mais pour rendre le tableau plus complet, je me dois d’aller plus loin dans ma description de cette ville qui se vit avec passion…

« Marseille n’est pas une ville pour touristes. Il n’y a rien à voir. Sa beauté ne se photographie pas. Elle se partage. Ici, faut prendre parti. Se passionner. Être pour, être contre. Être violemment. Alors seulement ce qui est à voir se donne à voir. Et là trop tard, on est en plein drame. Un drame antique où le héros c’est la mort. À Marseille, même pour perdre il faut savoir se battre ». Jean-Claude IZZO, Total Khéops,Gallimard, 1995.

 

Crédit photo : Pascaline
Passants sur la Canebière. Crédit photo : Pascaline

Cette semaine, je vous emmène dans un univers à la Tim Burton, avec des personnages à l’allure parfois effrayante, mais qui se révèlent le plus souvent inoffensifs. Croisés ça et là, dans les rues de ma ville, les couloirs du métro ou dans le hall de la gare, ils méritent que l’on s’attarde à les esquisser, car ils font la ville. Ville que l’on aime autant qu’elle nous exaspère, ville qui nous rend euphorique et colérique, qui nous transforme, qui nous façonne à son image, à la fois rude et fragile.

Crédit photo : Pascaline
Homme au chien, cours Julien. Crédit photo : Pascaline

Mon dimanche avait commencé avec un personnage cher à mes papilles et indispensable à mon quotidien : le vendeur de pâtisseries orientales. Son magasin est un peu comme on imaginerait les contes des mille et une nuits, rempli des mets les plus délicieux, des makrouts fondants vendus au kilo aux cornes de gazelles aromatisées à l’eau de rose, qui vous font de l’œil derrière la vitrine. Nous étions donc parties dans ce palais des délices une amie et moi, pour effectuer une commande. Le jeune homme, ayant vu nos yeux briller devant tant de sucre, nous a offert à chacune un petit assortiment de ses plus fines pâtisseries. Il était alors passé dans notre cœur, du statut de simple mortel à celui de roi des makrouts ! On entrait dans un univers fantastique ! Mais la journée me réservait d’autres surprises…

Crédit photo : Pascaline
Mets délicieux, la Rose de Tunis. Crédit photo : Pascaline

Au parc, où j’effectue mon jogging hebdomadaire, j’ai rencontré aussi moult personnages fantastiques : une dizaine de jeunes sportifs en herbe, qui passent leur temps à fixer obstinément les barres de musculation,  plutôt qu’à les toucher, en espérant peut-être que cet exercice leur permettra de gagner en masse musculaire. Un peu plus loin, un homme qui marche, les deux bras à l’horizontale, probablement en signe de remerciements à la terre mère… Un couple d’amoureux, dont le répit aura été de courte durée devant les allers incessants  des passants, quelques familles avec leurs minots qui squattent le parc à jeu, un autre jogger au look très 70’s, d’autres « djeuns » à l’American style plus actuel…

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Touristes égarés. Crédit photo : Pascaline

Le parc est un univers fabuleux, il est le seul endroit où des buissons solitaires émanent quelques vapeurs de cannabis. Où dans ces mêmes buissons, à quelques mètres de là, on peut retrouver un homme faire ses besoins le derrière à l’air. Et dire qu’on avait l’usage d’y cacher nos ravitaillements d’eau…. Son nom, le parc de « font obscure », véhicule diverses légendes, que mon amie me raconte, pour occuper mon esprit pendant que je cours, et laisse présager des pires scenarii. Pourtant,  jusqu’à présent ce qu’on a vu de plus effrayant c’est ce jeune exhibitionniste plutôt bien foutu, qui se pavanait sur notre chemin, sa corde a sauté de boxeur à la main. Et aussi peut-être, ces affiches de l’élu FN (Front national) qui désormais occupe le fauteuil de la mairie de secteur (13-14). Comme dans les films, les méchants ne sont pas toujours ceux que l’on croit…

Crédit photo : Pascaline
Escaliers de la gare. Crédit photo : Pascaline

Pour finir, j’ai croisé, le soir dans le métro, un homme que l’on appellera « Moïse », une étoile accrochée à un bâton, qui m’a demandé si j’avais du feu. Moment surréaliste. Dommage, j’ai peut-être raté l’occasion de contribuer au message prophétique… Arrivée à la gare, ou un piano a été installé dans le grand hall, j’ai aussi vu un couple venu d’une autre époque d’après le catogan de monsieur et la jupe à volants de madame, et visiblement un peu éméché, dansant la valse au son du piano. Ma journée s’est terminée sur cette scène, hors du temps. Clôture de rideau.

A bientôt, pour de nouvelles histoires fabuleuses…

 

Crédit photo : Pascaline
Badauds sur le Vieux-Port. Crédit photo : Pascaline


Alexandrie : trois regards sur l’Université Senghor

Trois mondoblogueurs sont passés par cette ville, en des temps différents, entre 2012 et aujourd’hui. Ils ont côtoyé de près ou de loin cet antre mystérieux que constitue l’Université Senghor au sein du paysage égyptien, et se proposent de vous la conter.

Pascaline : 

Crédit photo : Pascaline
Crédit photo : Pascaline

Un réveil matinal sur Marseille la méditerranéenne, une brise maritime, quelques coups de klaxons, me font penser à Alexandrie sa (fausse) jumelle. J’ai la lourde tâche, confiée par Djossè, mondoblogueur alexandrino-béninois, de vous parler de son Université que j’ai aussi connue : l’Université Senghor d’Alexandrie. Je rassemble mes souvenirs pour tenter de vous en faire un portrait le plus complet possible.

A cette heure-là, il y a un an, je pressais mes pas le long des rues encombrées de Mancheya, esquivant les bouts de trottoirs enfoncés, les marchands ambulants et les passants, pour me frayer un chemin vers mon lieu de travail. Les coups de klaxons successifs, les cris des marchands qui appelaient les clients, les discussions vivent de la rue étaient chargés de me sortir de ma torpeur matinale pour engager ma journée. Avant d’atteindre la corniche où j’allais trouver le chic bâtiment du Swedish institute, je devais passer devant la grande tour de l’Université Senghor. Une énigme alexandrine.

J’en avais entendu parler bien avant d’arriver en Egypte, par une amie qui était passée par Alexandrie quelques années auparavant et qui avait pu rencontrer certains de ses étudiants. Elle m’avait même confié la mission d’aller à la rencontre de ces « senghoriens », une fois arrivée en Egypte. Car, me disait-elle, ils sont très isolés, ils vivent dans une bulle, et ce serait super de monter un projet avec eux, de leur permettre de découvrir la ville, de rencontrer des égyptiens. J’avais un peu oublié sa mission une fois embarquée dans le flow alexandrin, et de Senghor je ne voyais que cette grande tour, découpant le ciel de la ville.

Je la côtoyais donc chaque matin ou presque, sans trop la voir, comme les foules d’alexandrins qui passaient par ici. Car mis à part sa hauteur majestueuse, que l’on voyait surtout au loin mais que l’on oubliait presque une fois à ses pieds, son insigne à l’entrée, et les bus garés en bas de la tour, on ne voyait pas grand-chose de Senghor. On ne savait pas grand-chose non plus. La francophonie avait son université ici, c’était un fait connu, mais de cette institution, on ne savait guère plus.

J’ai pu percer le mystère de Senghor grâce à un commentaire d’Atassé (Gratiano) sur mon blog, fraîchement ouvert à mon arrivée en Egypte :

« Embarqué dans la même aventure de Mondoblog, et surtout dans la même ville que toi!!!! que de plaisir de te lire. Contacte-moi si possible »

Disait-il, et je découvrais avec étonnement que Senghor était parmi la famille Mondoblog. Pour être honnête, à l’époque, je n’avais pas beaucoup plus d’idée de Mondoblog… Je suis donc allée à la rencontre d’un étudiant d’une université mystérieuse, et d’une communauté qui l’était tout autant à mes yeux.

Je pouvais donc rencontrer pour la première fois un mondoblogueur. Je pouvais dans le même temps, enfin fouler le sol de la grande tour et me pencher à ses fenêtres pour admirer la vue sur la corniche, la Bibliothèque un peu plus loin, et aussi le fort Qaitbay de l’autre côté. Je ne sais plus trop si l’angle de vue était aussi large, mais j’ai envie de le penser ainsi, pour vous donner une idée plus précise de la ville d’Alexandrie, embrassant la Méditerranée.

J’avais dû débarquer un vendredi ou un samedi, jour de repos pour les étudiants, et l’université que j’ai connue n’avait pas la vie animée que l’on peut imaginer. Quelques étudiants travaillant dans des salles presque vides, des professeurs et des employés ça et là, voilà tout. Toutefois, j’étais très heureuse à ce moment-là d’entrer à nouveau dans ce « monde » francophone qui m’était familier, alors que le reste de mes journées était une bataille avec mes rudiments d’anglais et mes balbutiements d’arabe égyptien fraîchement appris.

J’étais aussi très heureuse de rencontre ses étudiants, de découvrir leurs programmes et d’échanger avec eux sur la découverte d’Alexandrie qui nous était commune, mais tellement différente à la fois. Lorsque nous parlions de la ville, c’était comme si nous parlions de deux lieux distincts. Je l’avais découvert par le biais de mon volontariat à la Bibliothèque, puis à la fondation Anna Lindh, et par les réseaux et la vie culturelle qui entourent ces deux organisations.

Les étudiants de Senghor découvraient quant à eux l’Alexandrie de la francophonie, la cousine de Ouagadougou, ville également hôtesse du campus Senghor. Lorsque l’on est embarqué dans l’énergie du quotidien alexandrin, les négociations avec les taxis, les négociations avec les marchands, les sorties, la Bibliothèque, les Nescafé bin leben, les shisha tofeha, la corniche, Anna Lindh, les cours d’arabe, on oublie tout cela. On oublie même que la ville est sur le continent africain. Car pour beaucoup d’égyptiens que j’ai rencontrés, l’Egypte est au Moyen-Orient, avant d’être éventuellement en Afrique.

Il n’y avait que très peu de similitudes entre nos quotidiens finalement. Immergée dans la vie culturelle alexandrine, j’avais les informations et le temps nécessaire à la conter sur mon blog. Immergés dans les études et les plans de mémoire, les étudiants de Senghor avaient des priorités toutes autres, et ne devaient pas oublier pourquoi ils étaient là : étudier. Les exigences étaient sévères et la sélection d’entrée tout autant me semblait-il. Pas droit à l’erreur donc.

C’est peut-être pour cela que la tour est si haute : tournée vers le ciel tel un grand baobab, elle ne laisse pas le loisir à ses habitants de se pencher sur ses racines et la vie qui grouille en dessous. Mystérieuse et protectrice, elle veille sur ses rejetons pour les protéger du racisme, et des « chocs » culturels et pour leur permettre de mobiliser leur énergie ailleurs.

Pourtant, cette tour, je l’ai tout de suite reconnue dans l’article de Djossè, alors que j’avais quitté le pays, et qu’une nouvelle année commençait. Tout juste un an après moi, il débarquait à Alexandrie des rêves et des idées pleins la tête. Je découvrais avec plaisir son aventure, et me plongeait dans cette re-découverte au goût si particulier.

Pourtant, la ville que j’avais connue et celle qu’il décrivait là n’était plus tout à fait la même, seuls ses habitants restaient égaux à eux même. Une révolution et un changement de régime passé, comme la suite inéluctable des tensions que j’avais perçues tout au long de mon séjour égyptien. La seule question qui se posait vraiment alors que j’étais en Egypte était la suivante : quand sera la prochaine révolution ? Le temps nous aura donné une réponse après cette période d’incertitude des lendemains. Le couvre-feu, l’armée dans les rues, les portraits de Al-Sissi… je n’ai pas connu.

Alors à bien des égards, j’ai l’impression que Djossè et moi avons connu deux villes différentes. Deux mondes aussi. Pourtant, je prends plaisir à bavarder avec lui de ses découvertes, ses étonnements, ses questionnements, qui me sont tout de même un peu familiers. Ils me permettent de comprendre la ville qu’il a connu, la ville que j’ai manquée, et peut-être la ville que je redécouvrirais un jour. Le temps est fait d’incertitudes, pour Alexandrie comme pour moi. Alors je ne saurais vous le dire avec certitude.

Djossè :

Crédit photo : Djossè Tessy
Crédit photo : Djossè Tessy

Alexandrie, la ville qui m’adopte depuis maintenant plusieurs mois, on peut la raconter aussi différemment que les étonnements qu’elle inspire. Lorsque j’ai eu mon admission à l’Université Senghor en Egypte, le pays ne s’était pas encore remis de la révolution. Comment savoir la situation sur place ? Les médias nous montrent le peuple égyptien dans la rue avec l’armée désormais aux affaires. Les séries d’attaques à la voiture piégée ne pouvaient que donner une vision sanglante du pays. D’ailleurs, certains journalistes vont jusqu’à montrer la profonde dégringolade dans les statistiques de visiteurs de ce pays depuis que le vent du printemps arabe y a soufflé. La destination est déconseillée sur le site du Ministère français des affaires étrangères.

Moi, je tenais encore à me donner des arguments pour y aller. En faisant une petite collecte d’informations sur internet, je suis tombé sur le blog de Pascaline. Elle présentait une actualité égyptienne décalée, avec des illustrations qui donnaient le pays à voir en couleur, malgré l’ambiance délétère.

Je découvre Alexandrie quelques mois plus tard. Une belle ville qui borde la Méditerranée. Le bleu de l’eau et l’azur du ciel lui donnent une certaine convivialité. Seules les fissures des vieux immeubles qui pullulent dans la ville, les ordures dans les ruelles semblent écorcher cette beauté. Foudroyé par cette atmosphère bercée par l’air marin, j’ai oublié quelques instants mes peurs. Je ne me croyais pas dans un pays en crise politique. Et je me suis laissé aller à cette nouvelle romance qui, je l’avoue m’a aveuglé.

Mais au fil des jours, en s’infiltrant dans les marchés, dans le minibus pour se rendre à l’université, en écoutant les mésaventures de certains collègues, je découvre davantage cette ville, sa fièvre culturelle, son dynamisme et aussi les peines qu’elle peut procurer. Je découvre aussi la vie des alexandrins qui parfois me parait étonnante tant les contradictions sont profondes.

Les conseils reçus des anciens étudiants de cette université s’estompent très rapidement dans ma tête. Je me suis rendu compte que le temps dans lequel ils ont vécu même récent, connaît des évolutions surprenantes. Eux, ils ont vécu la révolution qui a fait partir Moubarak. Ils ont vécu l’air Morsi avec toute l’inquiétude de l’islamisation du pays. Moi je suis en train de vivre l’air Al-Sissi. Et c’est comme si les règles changeaient selon les périodes. Les modes de vie aussi. Pour moi, le plus important est de me concentrer sur le but de ma présence ici : étudier.

A voir la belle Bibliotheca Alexandrina qui se dresse sur la corniche, l’envie d’épouser la connaissance se renforce. Ce n’est pas le géant bâtiment de l’Université Senghor, opérateur direct de la Francophonie, qui enlève cette motivation. De la corniche, cet édifice ne passe pas inaperçu. Étudier à l’Université Senghor est le rêve de beaucoup de jeunes francophones. Il s’agit d’une expérience unique de côtoyer plus de dix-neuf nationalités différentes, toutes francophones venues pendant deux années universitaires. La diversité culturelle en marche. De nouvelles amitiés et le partage de cultures qui en résulte accompagnent cette riche formation.

Les auditeurs en Master développement à l’Université Senghor ont des niveaux d’étude aussi diversifiés (allant de la licence au doctorat) que les formations dont ils sont issus : du droit à la microbiologie en passant par la sociologie, la médecine, la documentation, l’économie. Au terme de la formation, c’est plus de deux cent cadres âgés de moins de trente six ans qui vont contribuer au développement du continent africain. Les professeurs viennent de différents coins du monde francophone. Je sais lire leur plaisir d’être invité pour un enseignement, dans leur abnégation. Des moments jouissifs, ils en connaissent au moment de la prise de contact et lors de la photo de famille, à la fin du cours.

L’université Senghor, un vrai symbole de la Francophonie dans un pays arabophone. D’ailleurs, c’est l’une des questions qui a meublé nos discussions entre collègues de l’université, les premiers jours de la rentrée alors qu’on commençait à peine à faire connaissance. Alors, pourquoi l’Université Senghor en Egypte ? Il fallait se rendre à l’évidence que le lobbying politique de Boutros Boutros Ghali, ancien secrétaire général de la l’Organisation Internationale de la Francophonie pour que l’Egypte abrite cette université, a été pour beaucoup. La portée culturelle de la ville Alexandrie aussi.

L’anglais, mieux que le français est un luxe pour les égyptiens, surtout dans la rue. Les difficultés à s’exprimer avec les égyptiens sont devenues frustrantes. Il faut se débrouiller avec quelques bribes d’anglais parce qu’on ne parlait aucun mot d’arabe si ce n’est pour dire merci (shoukran). Tant pis si vous ne savez pas qu’il faut avoir un papier mouchoir sur vous à montrer au vendeur pour l’acheter. Mieux, écarquiller les yeux sur son présentoir pour trouver le produit recherché. Et quand vient le moment de solder sa facture, le réflexe, c’est de prendre une calculatrice pour faciliter la communication.Cette barrière linguistique n’a pas favorisé l’intégration des « senghoriens » avec la culture égyptienne. Ils sont donc obligés de rester dans leur cercle de compatriotes dans lequel ils sont à l’aise, avec quelques liens qui se créent avec d’autres communautés. De ce fait, malgré la forte attraction qu’est capable d’offrir cette ville, il n’est pas chose aisée de se trouver souvent des centres d’intérêt.

On se retrouve alors comme dans une bulle où les seuls lieux qu’on sait fréquenter sont l’université et la maison. Beaucoup plus l’université que la maison. Le premier étant le lieu du déjeuner et du petit déjeuner. C’est le lieu des cours et de la bibliothèque. C’est le lieu des activités culturelles qu’organisent les étudiants. C’est aussi le lieu où se créent les affinités et Dieu sait qu’il y en a beaucoup. Finalement c’est comme un pays dans un autre parce que les étudiants arrivent à créer leur vie dans cette portion de terre qui leur est réservée.

Avec Pascaline, l’entame d’une discussion se fait en arabe dialectal. Nous partageons cette passion alexandrine, que les étonnements, les questionnements, aussi bien les miens que ceux que ses souvenirs ravivent, rendent vive. Il arrive qu’elle décrive des réalités que je n’ai pas connues. Elle décrit d’autres que je connais, que je vis. Mais les égyptiens eux-mêmes n’ont pas changé. Même s’il m’arrive de me lasser de la vie monotone d’ici, à compter les jours au gré du soleil qui se lève, Alexandrie peut me manquer. Elle m’a déjà manqué une fois alors que je suis juste parti juste pour une semaine. Et maintenant, je ne sais comment ce sera la prochaine fois, tant l’envie de repartir pour beaucoup plus longtemps me prend déjà.

Atassé :

Crédit photo : Djossè Tessy
Crédit photo : Djossè Tessy

Le rêve d’un voyage dans une ville si grande par son histoire, « Alexandrie », ne peut se terminer que quand l’on foule avec le pied le sable fin de la méditerranée. En réalité je me demande même si ce rêve est réellement terminé ? Si grand et si haut et là je ne parle pas que de la grande muraille de l’Université Senghor mais aussi de la ville d’Alexandrie.

Mon rêve a pris forme un Dimanche du mois de Septembre il y a deux ans. Ce rêve, je l’ai vécu réellement en deux phases. La première partie de mon rêve je l’ai passé à scruter chaque mètre de la ville d’Alexandrie qui s’offrait à Moi. Où suis-je ? Qu’est-ce que je cherche ici ? Que racontent ces milliers de passants que je croise ? Ces questions ont sans doute rythmé mon rêve qui m’a amené à découvrir le Nil, la Méditerranée, les Pyramides, la langue arabe…. Ce fut à la fois un mélange nostalgique de mon Afrique Noire et un mélange de curiosité et de découverte de l’autre…Cette première partie de mon rêve a très vite pris fin avant que le cauchemar ne s’empare du reste de mon existence. J’ai dit cauchemar ? Bon je dois l’avouer, entre le rêve et la réalité l’écart est sans doute trop grand.

 La deuxième partie de mon rêve court de deux heures du matin à sept heures. En réalité c’est seulement à deux heures du matin que la ville d’Alexandrie semble trouver un semblant de calme accordant un léger répit à ceux qui doivent se réveiller très tôt le matin pour vaquer à leurs différentes occupations. Cette deuxième partie de mon rêve a commencé par le coup de fil d’une amie, d’une mondoblogeuse, sans doute aussi curieuse que moi, mais plus ouverte et plus intégrée. Avec elle, l’aventure fut autrement. La passerelle est désormais créée entre elle qui représente pour moi l’Egypte vu autrement et l’Université Senghor, cette muraille de fer imbattable et imprenable qui reste incompris de tous les Alexandrins, surtout ceux de la basse classe.

 Pour elle et pour moi, le regard est désormais différent. Sans quitter ma muraille de fer, j‘ai pu me promener dans le désert, découvrir les grandes villes du Sud de l’Egypte et surtout revisiter ces multiples salles de classes de l’Université Senghor qui semblent tenir un autre langage. Cette deuxième partie de mon rêve, j’aurais aimé qu’elle dure plus longtemps. Mais malheureusement elle fut la plus courte.

 J’ai redécouvert mon Université. Le ballet incessant de défilement de ces professeurs venus de partout dans le monde et qui faisait de moi un citoyen universel. Le débat toujours engagé avec tous les étudiants provenant de tout l’espace francophone se terminait toujours par cette satanée phrase « chez moi ! » comme si finalement chacun revendiquait sa spécificité dans un monde qui se veut de plus en plus universel.

 Il y en a sans doute dans cette centaine d’étudiants de l’Université Senghor que je ne rencontrerai plus. Il y’ en a aussi de ces visages arabes, que je ne verrai plus… Mais on a vite fait de me dire que dans la vie on ne dit jamais….jamais.

 En attendant que ce « jamais » ne disparaisse de la langue de Molière pour me laisser le droit de rêver à nouveau, je me sens aujourd’hui comme neuf, lavé par le Nil, nettoyé par la Méditerranée et bronzé de mon noir africain par le soleil de la grande bourgade d’Alexandrie.

 Je suis fier de mon Afrique si diversifié, si multiculturelle, si belle et si accueillante.

 Cet article est également disponible sur le blog de Djossè et de Atassé.


A quoi rêvent les jeunes du monde?

Salvador Dali, "Rêve causé par le vol d'une abeille autour d'une pomme-grenade  une seconde avant l'éveil", 1944
Salvador Dali, « Rêve causé par le vol d’une abeille
 autour d’une pomme-grenade 
une seconde avant l’éveil », 1944

Hier soir, c’était la fin d’une belle journée faite de belles rencontres et d’espoirs nouveaux. Alors je me suis laissée aller à la rêverie. Comme « Les rêveries du promeneur solitaire » de Rousseau. Sauf que la solitude ce n’est pas vraiment mon truc, contrairement à lui. Je déteste ça. Elle est ma pire ennemie, ma plus grande peur. Donc hier, comme j’ai vu une lueur d’espoir dans mon paysage un peu trop monotone, monochrome et monocorde à mon goût ces temps-ci, j’ai rêvé.

A quoi rêvent les jeunes aujourd’hui, me direz-vous alors que justement, il ne leur est plus permis de le faire. Alors que télévisions, radios, passants et commerçants, tous se sont mis d’accord pour nous empêcher de rêver. A croire que c’est un complot machiavélique contre la jeunesse de ce pays. Que dis-je, de ce monde. Car où sur cette planète a-t-on le loisir de se laisser aller à la rêverie au point, comme Rousseau, d’en écrire un pavé de 200 pages ! Je ne l’ai jamais fini ce livre… Qu’on me le dise, et je prendrai toute de suite un aller simple pour cette destination magique. Je fais partie de cette génération « crise » qui n’a connu que ce mot et sa faculté à occulter l ‘horizon de quiconque s’aventurerait à s’y projeter. Crise du logement, crise des subprimes, crise des banques, crise de l’Etat providence, crise de la solidarité, crise du vivre-ensemble, crise du civisme, crise sociale, crise cardiaque, crise d’identité, crise d’angoisse, crise de nerfs, crise tout court.

Je fais partie d’une génération devenue poétesse de la galère, qui cherche, coûte que coûte à trouver du sens à tout ça, et surtout, qui veut croire à tout prix qu’il existe une bonne étoile au-dessus de nos têtes en laquelle nous pouvons croire. Pourtant, ne vous y méprenez pas, malgré mes petites manières et ma tête dans la lune, la réalité du quotidien vient régulièrement me sortir de ma torpeur. Nous sommes nombreux, je crois, dans ce cas…

Je fais partie d’une génération qui a découvert le monde a portée de clic, mais à qui l’on explique sans cesse que cette liberté, cette absence de frontières, de limites, cette facilité à communiquer avec n’importe qui n’importe quand, cette horizontalité qui replace chacun de nous dans sa condition d’être humain sans se soucier de qui il est, d’où il vient, de qui est son père, quelle est sa religion, de combien il a dans son porte-monnaie…que tout cela n’est qu’utopie, et que le monde réel, lui est beaucoup plus cruel et tient compte de tous ces paramètres-là. Que ce sont même ceux-là qui font tourner le monde…

Alors hier soir, je me suis autorisé à rêver. Pas de célébrité, de gloire ou d’argent par millions comme on nous le vend dans les pochettes surprises de la Française des jeux. Pas non plus de jeunesse éternelle qu’on nous promet sur les pots de crème antirides ou de potion magique vendue chez Go sport. Je n’ai pas rêvé d’une beauté irréelle ajustée à coup de Photoshop que l’on voit sur les affiches du métro et les abris-bus. Je n’ai pas rêvé de voyages au bout du monde dans des complexes hôteliers immenses, exploitants les habitants locaux, et pillant la nature environnante au nom du profit économique.

J’ai juste rêvé d’un petit job, qui me donnerait un peu de liberté pour pouvoir m’en extraire et découvrir le monde à ma manière; d’un « chez-moi » où je pourrais ranger tous mes cartons, mes fringues et surtout mes paires de chaussures, pendant que je voyage; d’un tout petit peu de stabilité qui me permettrait de savoir où je serai dans quelques mois; de projets qui m’ouvriraient un peu plus au monde et contribueraient à apporter mon petit grain de sable pour changer les choses; et de mon amoureux à mes côtés pour pouvoir rêver à deux.

Permettez- moi de rêver. Car ce sont ces rêves qui construiront le monde de demain. Car sans rêve, Martin Luther King ou encore Jiro Horikoshi  n’auraient rien accompli. L’un est mort avant d’avoir vu le sien se réaliser. L’autre a laissé échapper le sien, comme nous l’a conté Miazaki dans « Le vent se lève ».

Car sans rêve, il n’y aurait pas d’artiste, de culture ou de création. Pas de nouveauté, de changement, d’accomplissement. Car sans rêve, il n’y aurait pas ces délicieux réveils où vous avez la certitude que votre journée sera belle et pleine de promesses.

Et vous, à quoi rêvez-vous ?

Je vous propose ici de nous dévoiler vos rêves, qui seront compilés dans un prochain billet si vous êtes d’accord et… inspirés !

 


De Marseille à Paris : Les gens ordinaires sont exceptionnels

 

Crédit image: Marine Fargetton https://unprintempspourmarnie.mondoblog.org/
Crédit image: Marine Fargetton https://unprintempspourmarnie.mondoblog.org/

 Il y a longtemps que je voulais vous décrire mon univers… Il y a des jours, lorsque je me balade dans mon quartier, je me dis que l’on pourrait en faire un livre ou un film tant il y a des scènes déjà cultes, des personnages que l’on ne voit nulle part ailleurs, et qui sont pourtant ici tellement réels. Ils sont exceptionnels. Je me dis alors que si les autres mondoblogueurs arrivent à nous conter leur quotidien avec malice et humour, il doit bien y avoir quelque chose à tirer de cet univers. Je me suis donc jeté donc à l’eau.

Mais lorsque j’ai fais lire mon « chef-d’œuvre » autobiographique à Marnie la dessinatrice, elle a reconnu dans mon extravagante médina (centre-ville) provinciale, sa sweet banlieue pourrie parisienne. Vous aurez donc le privilège (que dis-je l’immense honneur!) de pouvoir admirer ses illustrations et de vous délecter de ses tranches de vie à la suite des miennes.

 

Une journée ordinaire dans mon quartier

Par Pascaline

 

La gare

Gare Saint-Charles de Marseille (crédit photo:Robert Valette)
Gare Saint-Charles de Marseille (crédit photo:Robert Valette)

Surplombant le centre ville, en face de la « Bonne Mère », l’immense cathédrale qui symbolise Marseille, la gare est située sur une colline, entourée par ponts et tunnels qui laissent passer un flux incessant de voitures entrant ou sortant de la ville dans un bourdonnement continu.

Le bâtiment de la gare est voisin de l’université des Sciences et de la cité universitaire. Derrière, on peut voir une série de petites rues parallèles qui descendent vers le boulevard National, une des « grandes artères » de Marseille, commerçante et populaire. Dans ces rues en pente encombrées par les voitures mal garées, se trouve un collège, quelques snacks, beaucoup d’immeubles anciens un peu défraîchis et quelques uns plus récents et « standardisés », des logements sociaux aux résidences étudiantes en passant par un foyer pour femmes. Il y a aussi la résidence sociale, où je demeure.

On dit souvent que les quartiers autour des gares concentrent les différences et les extrêmes d’une ville. Marseille ne déroge sans doute pas à la règle. Je passe au moins deux fois par jour au milieu du grand hall de la gare Saint Charles et je ne me lasse pas d’observer les gens. Des riches, des pauvres, des rebelles, des sages, des beaux, des laids, des gentils, des méchants, des mal-aimés, des mal-baisés, des serviables, des revêches… la liste pourrait continuer à l’infini tant cette gare peut nous surprendre.

Lorsqu’on traverse une gare, on a toujours l’impression de partir en voyage. Tout à l’heure, en montant les escaliers de Saint-Charles, je me suis amusée à deviner ceux qui partaient et ceux qui restaient. C’était l’heure de fin de journée pour les travailleurs et travailleuses : chignons ou brushing, talons et trench pour les dames, mallettes en cuir, manteau noir et souliers vernis pour les messieurs. D’autres sont plus casual, mais tous se reconnaissent par leurs pas pressés pour ne pas manquer leur train, parfois un sandwich à la main.

 

Les passants

En fin de journée, lorsque les travailleurs extérieurs sont partis, restent les Marseillais. Les mères de famille débordées qui n’ont pas toujours eu le temps de s’habiller le matin, les étudiants un peu bobo qui ont toujours l’espoir de changer le monde, les SDF un peu crasseux qui viennent trouver refuge dans ce bâtiment ouvert à tous, ou encore les militaires, qui règnent en maîtres sur la terrasse de la gare, leur arme à la main.

Dans mon quartier, les horaires de travail n’ont pas tellement d’importance, car quelque soit le jour et l’heure, les petits commerces du boulevard National sont ouverts et les habitants discutent au coin d’une rue, se disputent par la fenêtre, chantent parfois, rient, pleurent… Bref, ils vivent, à haute voix et sans fard (aucun).

Parfois, la paranoïa des médias m’envahit et je crois voir en chaque passant à une heure un peu tardive, un tueur potentiel qui cache sa kalach(nikov) dans sa sacoche ou dans les poches de son jean, n’étant pas vraiment au courant des dernières nouveautés en matière d’armement. Parfois j’ai l’impression que mon quartier est sous surveillance, non pas des vidéos de la Police Nationale, mais des miradors qui se cachent derrière les rideaux de chaque maison, et qui au moindre souci, interviennent. Ces femmes feront leur compte-rendu le lendemain, au croisement de la rue, que je pourrais toutefois entendre sans trop prêter l’oreille, depuis ma fenêtre du sixième. Ce doit être la version locale de Radio Galère, la radio marseillaise au nom unique en son genre.

On dit que chaque quartier de Marseille est comme un village avec son esprit et sa personnalité. J’ai habité de nombreux quartiers touristiques , du vieux port à la plaine plus « bobo », en passant par le 13ème, plus populaire. J’y ai vu des différences à bien des égards mais celui là, je ne saurais comment le définir ou même le classer. Il est peut-être un mélange de tout ça. Je pense que l’on pourrait en faire un roman avec tous ses personnages.

 

Les commerçants

Les commerçants? On pourrait en faire une dissertation. Il y a le papy libanais qui tient le cyber-café, mais qui n’y connaît rien en informatique. On dirait toujours qu’il est là par hasard, « j’ai un scanner, si vous savez vous en servir, dites-moi ». Mais on ne peut que lui pardonner, vu sa gentillesse. En fait, sa vraie compétence réside dans le service de renseignements. Personne ne sait mieux que lui si la Poste est ouverte aujourd’hui, si le cyber d’en bas fait les impressions couleurs ou si l’on trouve d’autres épiceries dans le quartier.

Ensuite, il y a le boulanger, qui me sert aussi de relais d’information en cas d’événement dans le quartier: « oui il était là jusqu’à minuit hier, non il n’a rien entendu ». Je vous l’accorde, on a vu mieux comme indication, mais sa présence me rassure parce que je sais qu’il me reconnaît, et il a des pizzas pas chères quand je n’ai plus rien à manger. Il a aussi de très bonnes pâtisseries orientales dégoulinantes de miel.

Ensuite, à côté de la boulangerie ,et en face du discount alimentaire il y a un « bric à brac » dont je ne connais pas le nom officiel (on l’appelle le magasin bleu ou le Lycamobile). Son propriétaire répare les portables, vend des chargeurs et des accessoires, répare aussi des ordinateurs. Mais il fait également des numérisations ou des impressions, lorsque les autres magasins sont fermés. Il faudra donc passer derrière le comptoir, enjamber quelques lignes de fils emmêlés, et s’installer à sa place derrière son ordinateur poussiéreux. Après ça, je renonce à me demander si ses prix sont officiels !

 

Les petits jeunes

Sinon, dans mon roman, il y aurait aussi les petits jeunes du bas de l’immeuble, les « cailleras » comme on dit, garçons et filles agglutinés sur les marches des entrées d’immeubles, ils écoutent la musique sur leurs smartphones et papotent en buvant des sodas. J’ai beau essayer de capter leurs conversations à chaque fois que je passe devant, je ne sais pas de quoi ils parlent, de quoi ils rêvent. On dirait qu’ils ne sont là que pour rendre le tableau plus complet. Parfois, quand je rentre un peu tard, j’en vois un ou deux qui me demandent si j’ai une clope, un 06 ou si je veux du shit :

– « non merci »

– « ok, bonne soirée »

– « à vous aussi »

Je crois que ce sont eux la nuit dernière, que j’ai entendu courir pour faire fuir un clochard éméché qui réveillait tout le quartier. Il insultait de tous les noms d’oiseaux quelqu’un qui, visiblement n’était pas là du tout. Dans ces moments là, je me dis que la misère humaine s’est donnée rendez-vous à Marseille, dans mon quartier. Quand je croise ces âmes un peu paumées, qui avancent l’air hagard et qui parlent parfois toutes seules pour cracher leur haine d’une société qui les a laissé sur le bas côté.

 

Les voisins

Dans mon foyer, il n’y a que des jeunes. De toutes origines. Ils sont sans doute comme moi ici surtout pour le prix du loyer plutôt que pour la vue sur le upper-east Saint-Charles. Parfois, ils me prennent pour une des travailleuses sociales du rez-de-chaussée et me demandent si j’habite ici. D’autres m’indiquent la laverie, on se salue. Pas plus, ici c’est chacun pour soi et Dieu pour tous.

Les garçons du foyer se retrouvent souvent au rez-de-chaussée pour regarder les matchs de foot et les commenter, comme le font les autres habitants du quartier dans les bars du coin qui sentent encore l’odeur du tabac froid datant de l’ère d’avant la loi Evin. Il n’y a alors pas besoin d’avoir de téléviseur pour connaître les résultats. C’est comme ce jour des matchs qualificatifs de la coupe du monde, quand j’ai entendu crier dans la rue, j’ai pensé que la France s’était qualifiée, puis tout à coup, après les klaxons et les youyous, j’ai pu distinguer « one, two, three, viva l’Algérie!». Ce n’était donc pas la France. Pourtant, quelques minutes plus tard, nouveaux coups de klaxons pour me signaler la qualification. Toutes les occasions sont bonnes pour célébrer le Dieu football. Cette nuit là a été un concert de klaxons, me faisant remarquer qu’à Marseille, si vous n’allez pas au football, c’est le football qui vient à vous, que vous le vouliez, ou non.

Donc je crois qu’il y aurait aussi du football si je devais écrire un roman sur mon quartier. Curieusement, il n’y aurait pas de morts sur fond de trafic de drogue, ou de caïds en Mercedes « benz-benz-benz » qui viendraient jouer les durs au bar du coin. J’ai vérifié le lendemain dans la Provence à chaque fois que j’ai vu ou entendu des bruits insolites mais je n’ai pas vu tout cela. Parfois, je me demande si c’est le journal TV, les livres ou les films de Scorcese qui me donnent ces idées là. Ma pratique de terrain me laisse penser que l’on est sans doute plus près des petits trafics des crapules du film « Comme un aimant » que l’on trouve presque sympathiques avec leur côté « loosers » que des gros caïds à la Scarface. Où alors, je n’ai encore rien compris ?!

 

Une journée ordinaire dans un (lointain) faubourg de la capitale

Par Marine Fargetton

 

En tant que dessinatrice improvisée qui s’invente chroniqueuse d’un jour, je vous préviens d’avance que le texte qui suit n’est pas des plus déliés. J’ose quand même espérer que les as de la plume auront un regard bienveillant envers mon stylo hésitant et sauront s’amuser du style bancalo-précaire qui sera le mien pour l’occasion.

Voici donc un aperçu personnel de mon bled, suivez-moi, je vous emmène !

 

Plantons le décor… 

Je vous écris donc du fin fond d’une banlieue parisienne, de celles que l’on qualifie allègrement de dortoir car si ce n’est contempler béatement leurs caractéristiques alignements de béton en barres, on n’y peut faire que dormir. Pas de centre-ville vivant comme décrit par Pascaline, non.

Cela dit j’exagère, car je vis tout de même pour ma part dans un chef-lieu*, avec sa préfecture et son centre commercial. Comme les pôles négatifs et positifs d’un aimant, voilà les deux parties essentielles d’un bon chef-lieu qui se respecte! Il semble en effet que tant que les papiers sont bien faits et l’argent bien dépensé, tout le monde peut dormir sur ses deux oreilles dans sa banlieue dortoir.

Je vous épargnerai pour ma part le récit du foyer pour jeunes, de ces cailleras qui s’improvisent concierges du soir, bonsoir, et du Dieu foot qui vient jusqu’à tes oreilles quoi qu’il arrive même quand tu te calfeutres (comme ma personne) sous ta couette devant un film… Enfin dans mon cas, le foot est déjà chez moi et le mal (le mâle !) est fait ! Si ça braille, c’est à la maison, et j’ai les résultats en direct (chez moi) et en différé (à ma fenêtre).

Oui, je disais, je vous l’épargnerai car cela a été décrit si bien par Pascaline que l’on aurait dit ma propre vie !

 

Donc son centre commercial…

Un lieu des plus animés du dimanche au samedi, bourdonnant telle une ruche où chacun sait ce qu’il doit acheter, où les djeuns s’agglutinent, où les vigiles des magasins s’entraînent au sprint derrière des lièvres faucheurs plus rapides qu’eux, où les demoiselles pavoisent, les autres regardent, les enfants courent et les parents crient !

La routine habituelle d’un de ces centres, où la vie commence à 10 heures et s’arrête à 19, construits pour parer à des rues commerçantes inexistantes dans ces villes pourtant devenues chefs-lieux, avec leur tribunal, leur préfecture.

 

Et puis sa préfecture…

Austère bâtiment ou chacun passe pour immatriculer sa voiture, régler d’obscurs tracas administratifs et aussi renouveler ses papiers. On y va beaucoup pour ça.

Dernièrement ils étaient encore là. Bien après la nuit tombée et la fermeture des commerces dont je parlais, ceux-ci ayant laissé place à un tout autre spectacle nocturne.

Alignés en rangs d’oignon, à même le sol froid de l’hiver (ou sur des chaises pliantes pour les habitués), ils forment leur file d’attente pour faire partie des cent premiers numéros à avoir la grâce d’être reçus le lendemain matin à la préfecture.

La file est organisée, chacun sa place. Qui s’improvisant chef de rang, s’arrangeant pour se faire garder sa chaise, pour aller manger ou se réchauffer… Hommes, femmes, vieux, jeunes sans distinction aucune, si ce n’est l’urgence commune de mettre en ordre ses papiers, de maintenir sa situation « régulière ». La routine habituelle pour ces pauvres âmes refoulées par le ressac administratif.

C’était un dimanche soir en direct de ma sweet banlieue pourrie** , mais chez moi, ce n’est pas Cergy !

* une ville qui est administrativement prééminente dans une division territoriale ou administrative

** Anis, La Chance


Cinéma : Dans l’univers des femmes de Lidoubé

J’avais prévu une autre introduction. Et puis j’ai eu cette discussion avec des amies. Celle où l’on se demande si l’on doit adapter notre tenue vestimentaire à notre quartier, ou si c’est notre quartier (ou plutôt ses hommes) qui doivent s’adapter à notre tenue vestimentaire. Une histoire de femmes, en sommes, qui se posent des questions sur leurs conditions dans  la société où elles vivent. Le  jeune réalisateur sénégalais que je vais vous présenter parle aussi de femmes, qui se posent d’autres questions, dans un autre contexte, mais pour qui, comme pour nous, « la vie n’est pas immobile », du nom de son deuxième film que je viens de voir et que je vous invite à découvrir. 

Le premier long métrage d’Alassane Diago, je l’ai découvert il y a plus de deux ans, lors d’un festival de cinéma africain au musée de l’histoire de l’immigration, à Paris. J’ai retenu son nom et suivi depuis lors ses projets, car ce film m’a profondément touché, dans sa temporalité pourtant inhabituel. En effet, ce n’est pas un film que l’on a l’habitude de voir avec «de longs plans fixes, une bande son très pré­sente[…]de longs silen­ces ».

Pourtant, ce cadre très épuré du film laisse transparaître une émotion particulière. Cette émotion, c’est celle qu’il y a entre une mère et son fils, qui l’interroge sur sa vie et son passé dans une société où la pudeur est très forte et où «  les enfants ne deman­dent pas de comp­tes à leurs parents ».

« Les Larmes de l’émigration c’est l’histoire de ma mère qui attend mon père, parti il y a plus de 20 ans. C’est aussi l’histoire de ma sœur qui, aujourd’hui, attend son mari parti il y a cinq ans et celle de ma nièce qui elle non plus ne connaît pas son père.Avec ma caméra, je repars après deux ans d’absence dans ma communauté à Agnam Lidoubé, un village du Fouta sénégalais, pour comprendre comment et pourquoi ma mère a passé toutes ces longues années à attendre.»

Avec le recul, ce film me fait un peu penser au livre de Fatou Diome « Celles qui attendent », une autre histoire émouvante de femme et d’émigration, parmi celles dont je vous ai parlé. Mais l’originalité du film d’Alassane Diago est de nous montrer l’autre côté du miroir, d’un point de vu familial et affectif très fort, sans aucune intransigeance envers son père absent, qui n’a aucun droit de réponse puisque son silence l’en a privé.

J’ai longtemps cherché à connaître les nouveaux projets mis en œuvre par le réalisateur, curieuse de l’orientation qu’il leur donnerait, après un premier film ou il s’est finalement tant livré, ou peut-être pour y trouver la  happy end  a laquelle je n’avais pas eu droit. J’ai suivi les début d’un projet de film d’abord intitulé « les femmes de Liboubé », qui s’appellera finalement « La vie n’est pas immobile ». Malheureusement pour moi, ce film était jusqu’à présent uniquement diffusé lors de festivals et je n’avais donc pas eu l’occasion de le voir.

Mais alors que j’en avais presque oublié l’existence, je suis tombée dessus par hasard sur internet. Et alors que je m’apprêtais enfin à écrire cet article qui aurait dû être fait depuis longtemps, toute trace du-dit réalisateur avait disparu de Facebook. Plus de page, plus de mur, et toujours pas de site internet.
Je m’interrogeais… Comment se fait-il que dans ce monde, je puisse en un seul clic, retracer les dernières 24h de ma voisine du dessus, ou pire encore, de celle de tous les chats de mes anciens colocs, mais que je n’ai pas une seule info un peu fraîche sur réalisateur dont j’ai apprécié les films. Certe, ce n’est pas Spielberg, mais tout de même ! Il n’avait finalement peut-être pas tout dit dans son film. D’où l’intérêt d’en faire un deuxième, et rien de mieux pour que l’on parle de votre travail, que l’on n’ai rien d’autre à raconter.

Son deuxième film, donc, « La vie n’est pas immobile », nous ramène dans son village du Fouta au Sénégal, comme s’il reprenait la vie là ou le premier film l’avait laissé. Pourtant, le ton n’est pas le même, un brin plus joyeux et revendicatif. On apprend que les femmes du village ont créée une association, pour répondre collectivement à leurs besoins, amplifié par le manque à gagner des hommes qui sont partis. Elles ont planté un jardin pour subvenir aux besoins du village, et de ses hommes. Mais ces derniers ne leurs facilitent pas la tâche, à en croire leur discours. « Les temps ont changés » nous disent elles en revendiquant leurs droits. A travers la caméra, le réalisateur devient le confident des femmes du village, mais aussi le médium qui leur permettra de porter leurs revendications  jusque devant le chef du village. Le narrateur devient tantôt acteur de ce nouveau documentaire, légitimé par son premier film et surtout par son histoire d’enfant du village. C’est comme si ce père absent lui donnait le droit de libérer la parole de ces femmes. Et il le fera avec brio. Je ne vous en dirait pas plus, pour vous laisser savourer la suite.

Vous pouvez regarder le film en entier sur le site de TV5 Monde :


TV5 Monde Diago film


Le marathon des expressions illustrées par Marnie

Le 22 décembre dernier, Marine Fargetton alias Marnie, notre mondoblogueuse dessinatrice lançait le « marathon des expressions illustrées » sur son blog « Un printemps pour Marnie ». Si le marathon n’est pas ma grande spécialité, je me suis prêtée au jeu avec plaisir pour cette seconde étape. En proposant une citation fétiche, j’ai mis au défis Marine de l’illustrer… Je reprend ici son dessin pour vous donner envie d’aller en voir plus, et aussi parce qu’il illustre parfaitement le nom de mon blog.

 

Dessin de Marine Fargetton https://unprintempspourmarnie.mondoblog.org
Dessin de Marine Fargetton https://unprintempspourmarnie.mondoblog.org

« Il leva les yeux au ciel et vit les étoiles qui veillaient, immobiles en apparence, car rien dans l’univers n’était vraiment figé. Il se dit que Dieu avait créé les belles étoiles pour nous forcer à lever notre regard. Mais un jour elles se pencheront sur la terre et ne trouveront aucune trace de nous. Le véritable sens de notre existence ne s’incarne que par la sueur et le sang »

 

Lever les yeux et regarder les étoiles. Voilà une image bien poétique sous forme d’invitation, dans cette citation. Prendre du recul, sortir la tête du guidon, ne plus regarder uniquement notre nombril, pourrait être d’autres manières de le formuler.

Le personnage de « Son excellence » dans un cynisme chronique, a sacrifié sa vie pour atteindre une position sociale et professionnelle à laquelle il ne parviendra finalement jamais.

Il vient nous rappeler, par son échec et son non-héroïsme, que la vie est éphémère et que nous sommes finalement insignifiant face à l’immensité de ce monde. Implicitement, cela signifie pour moi ne pas en perdre une miette. La sueur et le sang pourraient être une métaphore, marquant avec force qu’il nous faut toujours faire de notre mieux pour ne laisser aucune place au regret.

Retrouver la suite de ses aventures sur le blog de Marnie!